CURIEUSEMENT, le député européen (UDF) Jean-Louis Bourlanges, demande, dans un entretien avec « Libération », que M. Chirac démissionne. M. Bourlanges est connu pour sa connaissance des dossiers et la qualité de ses analyses ; il n’a pas la réputation d’un excité. Comme on lui accorde d’emblée le crédit de la modération, on se dit que la sévérité de son commentaire est directement liée à la gravité des fautes commises par le chef de l’Etat. En même temps, on ne voit pas très bien où conduirait une démission du président, sinon à une complète déstabilisation du pays, qui libérerait les appétits les plus voraces et les pulsions les plus irresponsables.
De ce point de vue, Christine Boutin, elle aussi députée UDF, ne semble pas du tout déraisonnable quand elle exprime la crainte d’une réédition de ce qui s’est passé à l’élection présidentielle de 2002, avec, cette fois, un candidat de l’extrême droite et un candidat de l’extrême gauche au deuxième tour, ce qui sonnerait le glas (au moins provisoire) de la démocratie française.
Limiter les dégâts.
Ce n’est pas ce que dit le sondage Ipsos-« le Point » de la semaine dernière qui accorde 6 % à Olivier Besancenot (LCR) et 4 % à Arlette Laguiller (LO), tandis que M. Le Pen recueillerait au maximum 13 %. Mais bien sûr, la situation en France peut encore se dégrader ; et si, contrairement à M. Bourlanges, il y en a, dans la population, qui ne veulent pas d’un séisme politique, ils espéreront que l’exécutif ne fera rien, pendant l’année qui vient, pour déclencher de nouvelles crises. A Dominique de Villepin, qui souhaitait faire des douze mois qu’il lui reste une « année utile », on répondra que nous en sommes au point où il suffira qu’il fasse en sorte que ça n’aille pas plus mal.
POUR LE MOMENT, ROYALE ET SARKOZY APPARAISSENT COMME LES CANDIDATS INELUCTABLES
On a beaucoup commenté les destins comparés de MM. Chirac, de Villepin et Sarkozy ; et, à ce sujet, nous aurons tous remarqué que le Premier ministre fait le plein des critiques désagréables et parfois carrément injurieuses. Si la nature des propos des extrêmes ne surprend guère (encore que M. Le Pen soit resté relativement sobre), on est plus surpris d’entendre M. Bourlanges (encore lui) traiter Dominique de Villepin de « perroquet », un nom d’oiseau, littéralement. D’où vient que le chef du gouvernement inspire une telle hargne, et plus particulièrement dans les rangs de François Bayrou ? Peut-être de la très sincère indignation des centristes, auxquels Chirac et Villepin, au temps d’une suprématie qui fut aussi le comble de leur morgue, ont fait avaler d’énormes couleuvres. Néanmoins, ce n’est pas vraiment éthique, comme on dit, de se venger façon Bourlanges. Mais tant pis. Précisons simplement que, selon le sondage cité plus haut, François Bayrou se situe à 7 %, soit un point de plus, un point seulement, que son score à la présidentielle de 2002, en dépit de quatre rudes années d’invectives contre Chirac et la chiraquie. C’est peu.
Ségolène superstar.
Et le combat est ailleurs. La bataille du CPE, en réalité, n’a pas révélé un nouveau héros, comme cela arrive parfois après une grande crise ; M. Besancenot n’a pas pris la Bastille et Mme Laguiller n’a pas pris la tête d’une nouvelle Commune. Un nom, un seul, domine tous les autres, celui de Ségolène Royal : certes, au premier tour, elle obtiendrait « seulement » 28 % des voix, derrière Nicolas Sarkozy, crédité de 33 %. Mais au second tour, elle battrait le ministre actuel de l’Intérieur, par 51 % contre 49 %. Adieu, la cohorte des éléphants socialistes, les Lang, Strauss-Kahn, Jospin, Fabius. Le message populaire devient tonitruant : si la gauche veut l’emporter l’an prochain, elle doit choisir Ségolène comme candidate.
Parallèlement, si la droite veut conserver au moins une chance de ne pas perdre, elle doit désigner Nicolas Sarkozy. Adieu, Villepin, Chirac, Michèle Alliot-Marie.
On peut même poser l’équation de la manière suivante : à l’heure qu’il est, et sous réserve d’une crise ultérieure, Mme Royal est la meilleure pour conduire la gauche à la victoire : il semble bien que non seulement elle efface de sa seule présence toutes les supputations sur les autres candidats socialistes, mais qu’elle apporte à la gauche une chance supplémentaire. De la même manière, M. Sarkozy, dans tous les cas de figure, est le meilleur pour la droite ; il était le meilleur avant le CPE, il le reste après le CPE. Et si Mme Royale est choisie, il sera le meilleur pour lui tenir tête. On n’en est donc plus à se demander si le ministre de l’Intérieur a souffert ou non de la crise du CPE, si la défaite de la majorité ne lui a pas nui, à lui aussi. Il demeure le candidat qui fera le meilleur score.
Dans ces conditions, dans chacun des deux camps, faire la fine bouche, se poser la question de la « compétence » de Mme Royale ou celle de l’érosion relative de la popularité de M. Sarkozy, c’est un luxe et c’est même un tantinet suicidaire.
Bien entendu, nous ne sommes que dans un rêve (ou un cauchemar) prémonitoire ; mais l’opinion a une façon de simplifier la politique qui est déroutante. Les insultes adressées à M. de Villepin sont regrettables et inutiles : ses chances d’être élu président étant, aujourd’hui en tout cas, à peu près nulles, sa candidature ne servirait qu’à faire perdre son camp au premier tour et favoriserait sans doute Jean-Marie Le Pen. On espère qu’il s’en rend compte.
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