Une étude multicentrique présentée par le Dr Olivier Taïeb (service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent, hôpital Avicenne, Bobigny) s'intéresse à l'ensemble des enfants drépanocytaires qui ont bénéficié d'une greffe de moelle osseuse en France (une soixantaine). Depuis vingt ans, 200 greffes de ce type ont été réalisées dans le monde (la maladie touche environ 50 millions de personnes). « Il s'agit d'un modèle exemplaire pour étudier et comprendre les enjeux psychiques et culturels, individuels et familiaux, des processus de guérison d'une maladie somatique chronique de l'enfant et de l'adolescent », expliquent les auteurs.
Maladie héréditaire du globule rouge, la drépanocytose se transmet sur le mode autosomique récessif. Elle peut être portée par des parents asymptomatiques et toucher plusieurs membres de la fratrie, mais seuls les frères et surs pourront être donneurs dans le cas d'une greffe. En France, la drépanocytose touche principalement les patients originaires d'Afrique subsaharienne et des Antilles. Chronique et invalidante, elle démarre dès la naissance et entraîne des lésions viscérales, notamment cérébrales, avec un fort risque d'AVC.
Le seul traitement connu à ce jour - en dehors des traitements symptomatiques - consiste en une greffe de moelle osseuse, dont l'indication est posée dans les cas les plus sévères, souvent en dehors de la mise en jeu du pronostic vital. L'une des principales conséquences de ce traitement est un risque d'infertilité chez les filles, que l'on prévient par une cryopréservation d'un ovaire avant la greffe. Après la greffe, pour laquelle on observe un taux de « guérison » de 90 %, il n'y a, en général, ni rechute, ni retour à l'état antérieur.
La notion de corps dépendant
Un an après la greffe, des entretiens semi-structurés sont proposés aux patients (de tous âges) et aux familles. A partir de la quinzaine d'entretiens déjà réalisés auprès de jeunes filles greffées, les chercheurs commencent à voir se dessiner des enjeux importants de l'interaction entre le biologique et le psychique.
« Les patientes entretiennent de nombreux secrets, que ce soit par rapport au groupe culturel ou aux pairs », constate Olivier Taïeb, qui note « l'absence de confidentes » pour ces jeunes filles atteintes dans leur corps. Parallèlement apparaît l'ombre « prégnante, c'est le cas de le dire », de l'enfant et de l'enjeu procréatif. Que ce soit dans le discours individuel ou familial, il apparaît que la préoccupation de la fertilité menacée est grande, même avant la puberté. « C'est un enjeu très ambivalent, explique Olivier Taïeb, l'enfant à venir signifiant à la fois la guérison et une volonté de réparation. » Il y a une grande rivalité dans la relation mère/fille, la jeune femme ayant l'espoir d'avoir un enfant non malade, là où sa propre mère a échoué. Il est par ailleurs souvent reproché à la mère - paradoxalement - de ne pas avoir fait de diagnostic anténatal. Enfin, les jeunes filles tendent à une fétichisation dans le choix de l'objet amoureux, avec un discours du type : « Il peut être ce qu'il veut, du moment qu'il n'est pas malade. »
Dans un contexte de dette redoublée - dette de vie envers les parents, dette de guérison envers le frère ou la sur donneur(euse) -, les chercheurs se sont intéressés à la notion forte de « corps dépendant ». L'impact des techniques sur le corps des jeunes filles se ressent très fortement, entre la problématique de la greffe, celle du prélèvement et de la cryogénisation de leur ovaire, sans parler, dans certains cas, de la puberté déclenchée médicalement (du fait de la maladie). « Cet ovaire, conservé dans un réfrigérateur d'hôpital, est le garant de la continuité narcissique d'une jeune femme dont le corps a été morcelé. On réactive ici l'angoisse de castration », constate Olivier Taïeb. « On est dans l'idée que les fonctions du corps sont complètement dépendantes du pouvoir médical. » Cette collusion entre le biologique et le psychique, que « l'on doit penser », selon Olivier Taïeb, est l'aspect essentiel de l'étude en cours, qui tente d'éclairer la réflexion médicale sur le sens et la portée des soins dans le cadre familial, social et culturel.
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