En 1962, Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkins reçoivent le prix Nobel de médecine pour « leur découverte concernant la structure moléculaire des acides nucléiques et son importance concernant le transfert d'informations dans les systèmes vivants ». Cela fait alors près de dix ans que les chercheurs ont publié l'étude dans laquelle ils décrivent la structure en double hélice de l'ADN.
Pourquoi la reconnaissance de leur travail a-t-elle été si tardive ? Probablement parce la communauté scientifique a mis longtemps à accepter le fait que l'ADN soit la molécule support de l'information génétique.
En effet, en 1953, seulement sept articles concernant l'acide désoxyribonucléique ont été publiés dans « Nature » et l'abréviation ADN n'est pas encore utilisée. Malgré une accumulation incessante de preuves, seule une petite partie de la communauté scientifique admet alors que l'ADN peut être le support de l'hérédité : pour la majorité des scientifiques, cette molécule très simple ne peut être capable de véhiculer une information aussi complexe. Les protéines, plus complexes et variées, apparaissent encore comme les molécules clés de la vie et les expériences de séquençages protéiques développées par Frederick Sanger et ses collaborateurs sont, quant à elles, accueillies avec enthousiasme.
Des groupements phosphates et des sucres
C'est dans ce contexte que Francis Crick et James Watson découvrent la structure en double hélice de l'ADN. Les deux chercheurs sont arrivés à ce résultat en recherchant un modèle moléculaire permettant de réunir l'ensemble des données cristallographiques et biochimiques alors disponibles (voir encadré). Ce modèle est aujourd'hui connu de tous : deux brins d'ADN constitués des groupements phosphates et des sucres forment une double hélice dans laquelle les orientations de chacun des brins sont opposées. Sur les sucres de chacun des deux brins sont liées les bases azotées, chaque base d'un brin étant maintenue en vis-à-vis d'une base de l'autre brin par des liaisons hydrogène. Une cytosine fait toujours face à une guanine et une adénine à une thymine.
Ce système d'appariement des bases a immédiatement suggéré aux auteurs « un mécanisme possible de réplication pour le matériel génétique ». L'hypothèse théorique concernant la réplication semi-conservative de l'ADN, alors formulée par Watson et Crick, est finalement confirmée par Matthew Meselson et Franklin Stahl en 1958. Trois ans plus tard, Marshall Nirenberg et Heinrich Matthaei montrent qu'une séquence de nucléotides peut coder pour un acide aminé spécifique : le code génétique allait être décrypté.
La découverte de la structure de l'ADN a donc permis de progresser rapidement dans la compréhension des fonctions qu'exerçait cette molécule dans les cellules. Ce n'est qu'une fois que ces fonctions furent élucidées que l'importance des travaux de Watson, Crick et Wilkins a finalement été reconnue et récompensée par le prix Nobel de médecine.
« Nature » du 23 janvier 2003.
Comment Watson et Crick ont établi leur modèle
James Watson et Francis Crick ont utilisé toutes les données qui étaient à leur disposition pour élaborer leur modèle de la double hélice. Il était alors connu que l'ADN est composé de désoxyribose, de bases azotées et de groupements phosphate. Les photographies de diffraction aux rayons X de molécules d'ADN cristallisées, principalement dues à Rosalind Franklin et Maurice Wilkins, du King's College, montraient une figure caractéristique des structures en hélice. Erwin Chargaff avait montré que, pour toute molécule d'ADN, le nombre de molécules d'adénine est égal au nombre de molécules de thymine et que celui de cytosine est égal à celui de guanine. Enfin, des analyses en microscopie électronique avaient montré que le diamètre de la molécule d'ADN est de 20 Å, ce qui suggérait que cette molécule comportait deux chaînes de désoxyribose-phosphate.
Rosalind Franklin, l'oubliée du prix Nobel
En février 1953, Rosalind Franklin, alors âgée de 33 ans, produisit les clichés de diffraction aux rayons X de l'ADN, qui allaient permettre à Watson et Crick de proposer leur modèle. Elle ne sut probablement jamais que les deux chercheurs avaient eu connaissances de ses résultats. C'est son collègue du King's College de Londres, Wilkins, qui avait innocemment montré les clichés à Watson, alors de passage en Angleterre.
Rosalind Franklin avait découvert, quelque temps auparavant, que les groupements phosphates de l'ADN se situaient sur l'extérieur de la molécule et qu'il existait deux formes d'ADN (la forme A compactée et la forme B hydratée).
En outre, ses efforts venaient de lui permettre d'établir clairement que l'ADN était composé de deux chaînes hélicoïdales.
Ses travaux ont été publiés dans le même numéro de « Nature » que l'article princeps de Watson et Crick, mais elle ne fut jamais associée officiellement à la découverte de la structure l'ADN.
Un cancer qui l'emporta à l'âge de 38 ans, combiné au silence de Watson, Crick et Wilkins, la privèrent du prix Nobel qu'elle aurait légitiment dû partager avec les trois autres codécouvreurs.
Ce n'est qu'après sa mort que Watson et Crick ont admis que sans les travaux de la jeune Anglaise, ils n'auraient pas pu élaborer leur modèle aussi vite.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature