IL SEMBLE évident que tout être humain possède une dignité. On en fait la démonstration implicite lorsqu’il est maltraité, humilié, considéré comme une simple chose. Pourtant, rien n’est moins évident. en dehors même de ses atrocités, l’Histoire montre qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Le très honorable Aristote considérait que l’esclave était une « machine animée », comme toute son époque. De toutes façons, s’interroge Éric Fiat, cette dignité supposée, d’où la tient-il ?
Parmi les réponses qu’il envisage dans son livre, éclate la plus manifeste et... la moins fiable. Dieu existe et il a créé l’homme à son image, la créature est donc porteuse de la valeur du Créateur. Très estimables, ces deux affirmations ne vont pas de soi, et l’auteur trouve un sol beaucoup plus solide dans l’histoire sociale. Il établit que la dignité surgit de façon irréfutable comme une valeur bourgeoise. Là où l’aristocratie recevait dès le berceau ses valeurs, la bourgeoisie ancre la dignité dans les talents et les vertus que l’on acquiert, et dans la notion de mérite.
Discriminant.
Il en résulte un élément très positif : c’est par ses actes que l’on devient digne. On a pourtant le droit d’être inquiet. Éric Fiat montre avec talent que, comme toutes les valeurs liées à ce groupe social, la dignité repose sur un véritable refoulement des débordements physiologiques, autant dire sur beaucoup d’hypocrisie.
Et surtout, elle devient vite un critère discriminant. Contrairement au bon sens chez Descartes, la dignité est la chose du monde la moins partagée : les monstres, les criminels, les fous et même... les très laids en seront exclus. Plus tard certaines « races » et « peuplades », suivez notre regard.
Enfin Kant vint... ou plutôt vient avec lui une simple formulation : les choses ont un prix, tout ce qui a un prix est toujours moyen en vue d’une fin. Un aliment pour ne plus avoir faim, un tableau pour contenter sa sensibilité.
Or l’homme seul est ce qui ne peut être pensé que comme fin en soi, en tant qu’il a une dignité. L’homme est hors du prix, non hors de prix, puisque la prostitution, la corruption ou le trafic d’organes montrent qu’on peut lui aussi l’acheter, l’utiliser.
D’où l’un des principaux impératifs de la morale kantienne : toujours traiter autrui comme une fin en soi et non comme un simple moyen. Ce que nous faisons si souvent, par exemple en réduisant à l’amour à la sexualité.
À la dignité humaine comme fin en soi, répond le respect comme sentiment corrélatif. On voit bien que tous les objets du désir habituels peuvent créer de l’attrait, voire de l’angoisse, mais jamais du respect. Rigoureuse démonstration.
Ce livre est illustré par quelques exemples célèbres. Dignité du Général devant une fille trisomique, dignité de Mitterrand lorsqu’éclatent les cris « À Vichy ». Et d’autres d’un réalisme qui font un peu « saignantes tranches de vie ».
Il aborde vers la fin, les cas délicats des soins palliatifs, et de la manière dont on peut alors mettre en question la dignité humaine. doit-on ici rester kantien jusqu’au bout ?
On ne peut que recommander ce livre, dans lequel la profondeur et la finesse des analyses sont aptes à beaucoup remuer le lecteur.
Éric Fiat, « Grandeurs et misères des hommes - Petit traité de dignité », Larousse, « Philosopher », 231 p., 17 euros.
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