LE RISQUE MÉDICAL ne revêt pas la même apparence selon que l'on est patient ou médecin, cela va de soi, mais aussi selon le point de vue que l'on adopte, en colloque singulier ou dans une réflexion de santé publique. Comme le rappelle le Pr Stanislas Pol, chef du service d'hépatologie de l'hôpital Necker, le patient raisonne en fonction de son propre bénéfice et non des statistiques. Lors d'un nouveau traitement, « le patient a une attitude assez binaire », variant du refus absolu d'être « un cobaye » à l'acceptation d'entrer dans un protocole, autant pour lui-même que pour faire « avancer la recherche ». Dans tous les cas, « la place du médecin est importante dans le choix du traitement ». Il lui revient d'expliquer qu'une pathologie peut évoluer sous contrôle sans nécessiter de traitement, qu'il est inutile de prescrire tel médicament si le patient n'entre pas dans les indications, que l'apparition d'un effet secondaire n'est pas forcément une conséquence directe du traitement. « En France, il y a une dérive consumériste du soin et du traitement », prévient le Pr Pol, pour qui de nombreux cas se passent de traitement, ou au moins de traitements non éprouvés. « Une information loyale permettra aux patients de prendre en compte le rapport bénéfice/risque dans la limite de nos connaissances, qui, bien sûr, ne sont pas exhaustives », ajoute-t-il.
Calculer un niveau de risque.
Mais comment calculer ce rapport ? Le Pr Jean-François Bergmann, chef du service de médecine interne de l'hôpital Lariboisière (Paris) et vice-président de la commission d'AMM, donc bien placé, avoue : « Je ne sais pas faire. » S'il affirme cerner « à peu près » le bénéfice d'un nouveau traitement, le calcul du risque est une autre affaire. Un essai sur 3 000 patients ne fera pas apparaître un risque d'une fréquence 1/10 000... qui touchera pourtant 100 personnes si le médicament, une fois mis sur le marché, est prescrit à un million de personnes. « Le pire, c'est que l'on me demande de faire un rapport », explique le professeur, en divisant des choses qui n'ont pas la même unité. Rappelant l'affaire du Vioxx, il interroge : dans un rapport bénéfice/risque noté X/Y, « si X, c'est d'éviter des hémorragies digestives et que Y correspond à des infarctus du myocarde... il faut combien d'hémorragies digestives pour un infarctus ? Je ne sais pas. » Et d'ajouter que les choses se compliquent avec l'intégration d'un « coefficient G de gravité » (plus la maladie est grave, plus on accepte de prendre des risques) et d'un « coefficient C de cœur » lié au rapport émotif avec certaines thématiques : pédiatrie, douleur, cancer, « surtout si on nous a demandé de faire un plan ! ». Enfin, entre la façon dont les industriels présentent leurs produits, « toujours très oniriques », et l'attitude « pas facile » de l'administration, les membres de la commission ont du pain sur la planche. Lorsqu'une autorisation est donnée, le Pr Bergmann s'étonne de ce que « le médecin français [soit] d'une candeur absolue, d'une paresse critique incroyable et ça nous fait peur ». Selon lui, les médecins hollandais sont beaucoup plus aptes à « l'analyse critique de l'AMM ».
Du côté des patients, selon le témoignage de Christian Cottet, directeur général de l'Association française contre les myopathies (AFM), l'évaluation n'est pas beaucoup plus facile. Les personnes souffrant de maladies rares, en l'absence d'alternative, « sont prêtes à accepter un risque important » et ont « souvent tendance à minimiser le risque et à survaloriser le bénéfice », estime M. Cottet. Ce dernier rappelle le rôle des associations dans l'information des patients « prêts à entrer dans des protocoles réputés à risque ». Cela dit, cette confrontation avec le risque en fait également « des professionnels du risque » dont il ne faut pas négliger les compétences.
Remise en cause du principe de précaution.
Pour Jean-Luc Bernard, président du Ciss (Collectif interassociatif sur la santé), le risque en santé n'est pas « que » médicamenteux, et l'information n'est « pas toujours honnête ». J.-L. Bernard cite la façon dont est souvent présentée la chirurgie esthétique, en minimisant le risque réel. Néanmoins, précise-t-il, ce que les patients demandent, « ce n'est pas le risque zéro, c'est l'information ». Une affirmation qui devrait aller dans le sens de François Ewald, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et président de l'Ecole nationale d'assurances-Institut du Cnam. Ce dernier replace la problématique du risque médical dans le cadre plus large d'une « société de précaution... qui n'a pas pris sa forme définitive ». « Nous vivions confortablement dans l'idée qu'un risque acceptable était un risque indemnisable », ajoute-t-il en expliquant que, par le passé, on ne condamnait pas la prise de risque, on se contentait d'encadrer la façon dont les accidents seraient indemnisés. « Ce qui change aujourd'hui », estime-t-il, c'est qu'on « ne pense plus indemnisation, on pense prévention », aboutissant ainsi à une « philosophie de la précaution » selon laquelle « on ne peut pas prendre le risque... de prendre le risque ». Cette situation est liée au fait, selon F. Ewald, que les risques pris aujourd'hui dépassent la durée de vie du responsable, empêchant toute indemnisation - le risque écologique en est un bon exemple. On anticipe donc par précaution. Mais cette attitude nous oblige à être informés et à communiquer sur les risques possibles. La prise de décision se fait « à travers des régimes d'évaluation qui deviennent de plus en plus complexes », comme on l'a vu pour les AMM. Pire, le citoyen « ne croit plus ce qu'on lui dit » et pense toujours qu'on veut lui cacher quelque chose : « On revient dans un monde très métaphysique, c'est une structure religieuse du monde, valorisée par la peur d'un arrière-monde qu'on ne voit pas », produit par le « discours du risque » que véhiculent les médias. D'où également une perte de confiance dans la sphère politique. Selon F. Ewald, la situation n'a rien de nouveau, puisque Descartes lui-même aurait évoqué la question « d'avoir à penser un univers où l'action excède le domaine de la connaissance disponible ». Et la solution, quoi qu'on en dise, n'était « précisément pas celle de la précaution ».
* Les 4es Rencontres santé société de la fondation Roche avaient pour thème « Le progrès médical au XXIe siècle : une nouvelle conscience du risque ? ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature