LE PRÉSIDENT s'en est expliqué dans un entretien qu'il a accordé à « Rossiiskaïa Gazeta » paru mardi. Il pense que M. Poutine se tient à l'écart de tout dogmatisme, que c'est un pragmatique et que, sur cette base, un langage commun peut être trouvé. Mais les relations franco-russes sont altérées par le changement d'orientation de la diplomatie française, notamment le rapprochement avec les Etats-Unis, au moment précis où Vladimir Poutine relance une politique du rapport de forces avec Washington. L'incohérence et l'incompétence de George W. Bush ont fourni au maître du Kremlin un os à ronger permanent. Les ennemis de M. Bush sont ses amis.
L'OTAN aux frontières russes.
L'idéologie n'a rien à voir avec tout ça : la Russie a la nostalgie de son statut de superpuissance et elle n'est pas mécontente que la diplomatie américaine, contestée partout dans le monde, rencontre des difficultés croissantes, en particulier chez des partenaires qu'elle croyait acquis : il ne lui est pas indifférent, par exemple, que Gordon Brown annonce le retour au printemps de la moitié des effectifs britanniques en Irak.
Le président russe n'est pas aussi serein qu'il le prétend : il voit l'OTAN à ses frontières et l'influence américaine s'étendre, par le biais de l'extraction du pétrole, à l'est de la Turquie, là où la Russie se croyait en terrain conquis. C'est pourquoi il pense que son comportement brutal en Tchétchénie, l'usage qu'il fait du pétrole pour changer le destin de l'Ukraine, ou des armes pour déstabiliser la Géorgie, ne constituent que des ripostes légitimes à une Amérique qui a fait irruption dans son pré carré. La différence, entre Washington et Moscou, c'est que Ukrainiens, Géorgiens et autres sont moins attirés par les Etats-Unis ou l'Europe que par la liberté qu'ils représentent, et que, pour maintenir son influence, la Russie, elle, n'a que la force ou le pétrole et le gaz.
De sorte qu'il n'y a aucune bonne raison d'accepter une politique russe faite à la fois de paranoïa et de brutalité. M. Poutine se moque des lois et des droits de l'homme. Il a réduit la Tchétchénie en cendres pour y faire régner l'ordre russe ; il brandira de nouveau l'arme pétrolière pour étouffer en Ukraine l'aspiration aux libertés ; il tire profit d'une popularité qu'il doit aux royalties pour se moquer de la Constitution russe : comme il ne peut pas se présenter pour un troisième mandat présidentiel, il envisage de faire la campagne des législatives l'an prochain pour se faire élire et devenir Premier ministre. Inutile de dire que si M. Poutine dirige un jour le gouvernement, cela signifiera que le poste de président n'aura aucune importance et que tous les pouvoirs réels seront concentrés entre les mains du Premier ministre.
POUTINE REPOND A L'INFLUENCE AMERIACINE DAN SON PRE CARRE PAR LA PARANOIA ET LA BRUTALITE
La presse jugulée.
Bref, on ne peut pas dire vraiment que les libertés essentielles soient respectées en Russie : le premier anniversaire de l'assassinat d'Anna Politkovskaïa a été célébré par ses proches, on a retrouvé les assassins, mais, bien sûr, pas ceux qui ont ordonné le crime. Quand il a eu l'occasion de « regretter » le meurtre de la journaliste spécialisée dans les affaires tchétchènes, M. Poutine s'est empressé de dire que Mme Politkovskaïa n'avait aucune influence en Russie.
On peut lui rétorquer qu'elle a acquis une célébrité post mortem qui concurrence la sienne. M. Poutine a remis de l'ordre en Russie, ce dont ses concitoyens lui sont reconnaissants, mais il l'a fait en faisant emprisonner les ennemis qu'il comptait dans l'oligarchie pour désigner ses propres oligarques ; façon de reconstituer une autre nomenklatura. Et dans ce pays où la croissance est vive non seulement grâce au pétrole et au gaz, mais parce qu'on y trouve un authentique dynamisme industriel, le Kremlin a réussi à juguler la presse par toutes sortes d'intimidations, bien qu'il ne puisse y avoir de liberté d'entreprendre sans liberté d'expression.
Bernard-Henri Lévy demande à M. Sarkozy de priver Vladimir Poutine de la Légion d'honneur dont M. Chirac l'avait naguère décoré. Ce serait s'offrir un incident diplomatique digne du dey d'Alger. La France, en revanche, peut discrètement tenir à M. Poutine le langage qu'il faut tenir à tous les dictateurs ou apprentis dictateurs : M. Poutine est en mesure de cumuler la prospérité et la dignité d'une grande démocratie et il en tirerait de plus grands avantages que les actions sinistres qu'il commet pour asseoir son autorité. Il suffit, pour le comprendre, de regarder du côté des dictatures qui en sont au point de la caricature, comme celle de Birmanie : si, depuis 45 ans, les militaires birmans avaient accordé au peuple la liberté d'entreprendre, ils seraient à la tête d'un pays prospère. Le rêve de Grande Russie n'implique pas nécessairement le recours à la répression. Une nation n'est grande que parce qu'elle est exemplaire et elle perd son influence quand elle ne l'est plus : regardez l'Amérique.
Cela étant, on ne saurait critiquer la diplomatie française si elle parle à Moscou d'une manière plus énergique (avec l'approbation de nos partenaires européens) ; on ne saurait pas davantage nourrir ce doute imbécile sur le choix à faire entre l'Amérique démocratique ébranlée par un gouvernement plus que médiocre et une Russie où la répression est une très longue histoire.
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