VENUE DE LA PRESSE PEOPLE, relayée par les journaux d’actualité (« Sunday Times » du 27 août), la nouvelle a traversé le Channel et sème aujourd’hui le trouble dans la communauté scientifique et le landernau footballistique : cinq joueurs de première division britannique auraient décidé de faire congeler le sang du cordon ombilical de leur bébé et de le confier à l’institut CryoGenesis International, une banque privée installée à Liverpool. Ils obéiraient à de «possibles raisons thérapeutiques futures», tant au bénéfice du père que de l’enfant, a expliqué l’un d’eux sous le sceau de l’anonymat : «Pour les footballeurs, une blessure peut signifier la fin de la carrière. Donc, avoir sous la main des cellules souches, une sorte de kit de réparation si vous voulez, est quelque chose de tout à fait compréhensible.» Toujours selon le « Sunday Times », l’attaquant français d’Arsenal, Thierry Henry, fait partie de ce quintette de joueurs prévoyants, mais lui-même s’est abstenu de confier ses motivations réelles.
«Quoi qu’il en soit des explications avancées, on ne peut pas ne pas penser au dopage», estime le Dr Jacques Liénard, médecin de la Fédération française de football, qui dit éprouver devant cette affaire «le même embarras qu’il y a vingt-cinq ans, avec le scandale des sportives de RDA qui interrompaient leurs grossesses dans l’espoir d’un effet dopant hormonal».
Les sportifs utilisés comme des cobayes.
Sur le plan scientifique, tous les spécialistes s’accordent à souligner que le procédé n’est pas à ce jour médicalement au point : «En l’état actuel des essais expérimentaux, on est même en droit de craindre davantage de risques importants, comme l’apparition de cancers, que de bénéfices, souligne le Pr Pierre Rochcongar (CHU de Rennes), président de la Société française de médecine du sport. « La révélation faite par la presse anglaise, commente le Dr Gérard Dine, démontre que, en l’absence de certitude, des gourous ou des escrocs n’hésitent pas à utiliser les sportifs comme des cobayes. Que ceux-ci se montrent prêts à écouter toutes les sirènes, comment s’en étonner, étant donné les sommes faramineuses qu’ils sont en mesure de gagner avec leurs corps!»
Pour le professeur de biotechnologies à l’école Centrale de Paris, président de l’institut biotechnologique de Troyes et chef du service d’hématologie et d’immunologie de l’hôpital des Hauts-Clos de Troyes, l’affaire britannique doit être reliée aux pratiques observées depuis cinq ans déjà aux Etats-Unis. «La société Genzyme, dont les laboratoires sont basés à Boston, a déjà stocké des cellules souches adultes prélevées dans les cartilages de 4000sportifs; elle réalise in vivo des cultures cellulaires pour récupérer des chondrocytes en nombre augmenté et les réinjecter ensuite dans les articulations. Avec les cellules du cordon, on espère faire mieux, en reconstituant des tissus aussi bien tendineux que cartilagineux ou musculaires.»
Mais, outre les légitimes réserves qu’il convient de faire sur le caractère nettement mercantile de l’opération (les banques privées factureraient leurs prestations 1 000 dollars, plus 100 dollars par an pour la conservation par congélation), «ces technologies de thérapie cellulaire ouvrent, estime le Dr Dine, un débat éthique: la barrière entre les notions thérapeutique de réparation et dopante de préparation a tendance à s’estomper. S’il s’agit de traiter des lésions, les médecins ne peuvent que se féliciter du progrès réalisé. Mais si, en l’absence de blessure, il s’agit uniquement de renforcer le capital tendineux d’un sportif, on ne peut que dénoncer une nouvelle pratique dopante!»
Une pratique qui pourrait s’intégrer dans la panoplie traditionnelle du sportif dopé : «Quand vous prenez des anabolisants, rappelle le Pr Michel Rieu, conseiller scientifique du Cpld (Conseil de prévention et de lutte contre le dopage), vous fragilisez vos articulations et vous vous exposez à des ruptures tendineuses; augmenter la résistance tendineuse par l’injection de cellules souches pourrait alors exercer un rôle analogue à celui souvent joué aujourd’hui par les hormones de croissance.»
Kits de réparation ou kits d’hypertrophie ?
Les médecins du sport interrogés par « le Quotidien » réprouvent tous le recours à ces kits de réparation ou kits d’hypertrophie. Mais la légalité du procédé fait débat. Pour le Pr Pierre Rochcongar, «la conférence de Lausanne*a adopté des définitions des pratiques dopantes suffisamment larges pour que ces méthodes soient justifiables de sanction.»
«L’usage de tout produit humain est interdit et l’on pourrait assimiler ces cellules souches à des dérivés sanguins », note en effet le Dr Liénard.
Mais, préconise le Pr Rieu, «il reviendrait à l’AMA (Agence mondiale antidopage) de se saisir du dossier pour prononcer une interdiction des thérapies cellulaires qui soit explicite, celles-ci ne figurant pas sur la liste des produits et des méthodes dopantes illicites. Le débat devra donc être ouvert dans les prochaines semaines car le Cpld peut jouer à cette occasion son rôle de catalyseur international».
En tout état de cause, cet ajustement de la réglementation risque de rester inopérant, au moins dans un premier temps : aucun test, urinaire ou sanguin, n’existe pour détecter des injections cellulaires.
«Le seul moyen de contrôle dont nous disposons, constate le Pr Rieu, réside dans le suivi longitudinal du sportif, l’évolution des marqueurs permettant de constater des anomalies, cliniques, biologiques ou morphologiques.»
Une interdiction en bonne et due forme par l’AMA aurait le mérite d’alerter les communautés médicale et scientifique sur l’apparition d’une nouvelle génération de dopage biotech, la deuxième après celle apparue en 2000, avec l’EPO. Et en attendant la troisième, celle de la thérapie génique, que d’aucuns nous promettent pour les toutes prochaines années.
* 32e conférence de l’Unesco sur la promotion et la coordination de la lutte contre le dopage, novembre 1999.
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