Arraché à la peine de mort par un avocat talentueux, aidé à s'instruire pendant qu'il purgeait sa peine, pourvu d'un emploi à son premier jour de liberté, Patrick Henry, assassin d'enfant, a récidivé : une première fois en volant quelques objets dans un supermarché, une seconde fois en Espagne, où il était en possession de drogue, et a été arrêté.
Une énorme polémique s'ensuit, qui porte sur la réinsertion des condamnés, sur la réduction des peines, et même sur l'abolition de la peine de mort. Toute conclusion, en l'occurrence, est forcément hâtive. Patrick Henry ne représente qu'un cas parmi des milliers d'autres, il n'est pas une statistique ; une fois libéré, il n'a pas fait pire que son crime odieux resté dans toutes les mémoires ; et s'il est incorrigible, d'autres que lui ne le sont pas, qui ont fait pire ou moins grave.
Une trahison
Certes, sa récidive a provoqué un désastre, peut-être irréparable. Il a trahi tous ceux qui lui ont donné une nouvelle chance, du juge de l'application des peines au chef d'entreprise qui lui a offert un emploi, en passant par l'éditeur qui s'apprêtait à publier un livre, lequel lui aurait rapporté beaucoup plus d'argent que les dix kilos de haschich trouvés en sa possession. Il a gâché cette chance au mépris des parents de la victime à laquelle, pour sa part, il n'a donné aucune chance. Enfin, et c'est le plus grave, il soulève un débat qui accable tous ces hommes et toutes ces femmes de bonne volonté qui croient à la réinsertion sociale des détenus et tous les prisonniers qui souhaitent en bénéficier.
Interrogée par « le Parisien », l'ancienne ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, s'est bien gardée de justifier son refus de remettre Patrick Henry en liberté par les délits qu'il a commis ultérieurement, une fois qu'il eut recouvré la liberté. Au fond, dit-elle, son crime était si grave qu'elle n'a pas eu le cur de le libérer. D'aucuns, à l'époque, ont affirmé qu'elle attendait tout simplement de n'être plus sollicitée par cette affaire embarrassante : la loi sur la présomption d'innocence, appliquée à partir de 2001, a transféré la responsabilité de la grâce du garde des Sceaux à la magistrature. Ce sont donc des juges qui ont pris la décision d'ouvrir les portes de la prison à Patrick Henry. Mais comme la nouvelle loi a fait l'objet d'un débat extrêmement vif entre la gauche et la droite, la récidive de ce condamné trop célèbre est de nouveau politisée.
A droite, on rappelle que le dossier de Patrick Henry n'était pas aussi clair qu'on a bien voulu le dire et qu'il avait déjà un problème de drogue quand il était en prison. Et qu'en conséquence, il n'aurait pas dû être relâché.
A gauche, on défend la réforme de la justice adoptée par le gouvernement Jospin, mais on cache mal l'embarras que cause la démoralisation de tous ceux qui militent en faveur d'une justice plus humaine et qui, quand on leur a tendu un micro, ont stigmatisé la conduite du récidiviste.
La vérité n'est ni à droite ni à gauche et l'affaire est assez sérieuse pour qu'on la traite avec la plus extrême prudence. La répression systématique et impitoyable de la criminalité n'est pas plus une solution que l'angélisme. Nous ne savons plus où placer nos détenus. Et nous construisons des prisons pour y mettre des gens dont un grand nombre relèvent parfois de l'hôpital psychiatrique, lui-même insuffisamment financé ; ou des gens que la misère conduit à la délinquance, ce qui met en cause notre politique de l'emploi.
Si on compte dans notre société un nombre croissant de criminels et de délinquants, c'est parce que la famille explose, parce que l'éducation s'est dégradée, parce que l'exclusion progresse. S'il nous faut plus de prisons aujourd'hui, c'est par nécessité et dans l'urgence, et parce que le problème de la criminalité n'a pas été traité en amont. Or, dans un pays où l'on dénombre près de deux millions et demi de chômeurs, comment d'anciens détenus trouveraient-ils un emploi ? Comment ne seraient-ils pas systématiquement rejetés dans l'exclusion ?
Une raison plus simple
Est-ce à dire pour autant qu'on ne doive pas protéger les innocents ou qu'on doive attendre que les délinquants soient saisis par la grâce ?
Le cas de Patrick Henry nous renvoie à une réflexion relativement simple : pourquoi cet homme auquel la société a offert des chances inespérées, un avocat qui a sauvé sa tête, un système carcéral qui l'a aidé à acquérir des connaissances, un entrepreneur qui lui a donné un emploi, s'est-il fourvoyé dans deux actes sordides qui ne lui apportaient ni la fortune ni la gloire, sinon parce qu'il cherchait subconsciemment à retourner en prison, ou parce que son premier crime, épouvantable, continue de le hanter, ou parce que sa vie, après ce crime, ne vaut pas la peine d'être vécue ? Ou, à l'inverse, parce qu'il ne supporte pas de retomber dans l'anonymat ?
Ce ne sont que des hypothèses ; mais si, de nos jours, la notion de rédemption perd du terrain, l'idée d'autodestruction - ou de suicide pur et simple - en gagne, de même que le désir de célébrité. Patrick Henry a agi comme s'il voulait retourner en prison. La leçon qu'on peut tirer de sa récidive est alors plus existentielle que judiciaire, plus morale que politique. Il y a un quart de siècle, il n'a pas résisté à la plus effroyable des pulsions criminelles ; cette année, il n'a pas résisté à la liberté.
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