DE NOTRE CORRESPONDANT
DEPUIS novembre dernier, les journées de grève et les manifestations régionales et nationales rythment la vie quotidienne de l’Allemagne, révélant l’ampleur du malaise des médecins, tant libéraux qu’hospitaliers.
Les deux groupes n’ont cependant pas les mêmes revendications et regrettent, d’ailleurs, que la simultanéité de leurs mouvements favorise les confusions dans la population. Pourtant, ils réclament tous deux une meilleure rémunération et un desserrement de la bureaucratie « envahissante » qui encadre leurs activités. Les hospitaliers exigent des hausses de salaires allant jusqu’à 30 %, pour compenser les baisses de primes et l’augmentation de leur temps de travail, décidées cet automne par les régions et les villes, qui sont les « tutelles » des hôpitaux, mais aussi pour tenir compte de leurs heures supplémentaires non payées.
Les libéraux, eux, subissent la baisse constante des « points » qui permettent de calculer leurs honoraires. En Allemagne, il n’existe aucun honoraire fixe, car le moindre geste effectué pendant la consultation, y compris un coup de téléphone, un conseil oral, la rédaction d’une ordonnance ou d’un certificat, se traduit par un certain nombre de points, dont le montant varie aussi en fonction de la pathologie traitée et du statut et de la caisse du patient. Tous les trois mois, le praticien envoie la somme de ses points à son union régionale qui les transcrit en argent. Or, depuis une dizaine d’années, et encore plus depuis la réforme de 2004, les points sont « flottants » pour rester contenus dans les enveloppes globales qui définissent le montant maximal des honoraires par spécialité et par région. Résultat : plus les médecins travaillent et plus les points baissent, ce qui fait chuter les honoraires. Certains médecins affirment avoir perdu 25 % de leur revenus depuis 2004, d’autant que l’introduction d’un « forfait de consultation » trimestriel de 10 euros pousse beaucoup de patients à retarder, voire à supprimer, leur visite chez le médecin, et notamment chez le spécialiste.
L’arrivée des coordinations. Alors que les unions régionales (KV) et leur structure fédérale (KBV), élues par les médecins, sont les principaux interlocuteurs des caisses dans les négociations tarifaires, de plus en plus de médecins estiment que les caisses les ont entraînés dans une impasse. Ils réclament une réforme profonde de leur fonctionnement ou leur suppression, et le retour de conventionnements directs entre les caisses et les médecins. Ils militent ainsi pour un changement radical de leur mode d’exercice et de leur rémunération.
L’idée du remplacement des points par des honoraires fixes, plus clairs et surtout « non flottants », séduit de plus en plus de praticiens, notamment ceux qui se situent en dehors des syndicats traditionnels. Des syndicats qui se sont laissés dépasser par les « coordinations » apparues ces derniers mois dans le pays.
Le Dr Martin Grauduszus, généraliste près de Düsseldorf, anime depuis deux ans le mouvement des « Médecins libres », principale force « extraparlementaire » du monde médical, c’est-à-dire non représentée au sein du « Congrès des médecins » qui réunit l’Ordre, les délégués aux unions et les syndicats. «Nous avons accepté pendant des années, explique-t-il au « Quotidien », la politique d’économies du gouvernement, mais, aujourd’hui, les limites sont atteintes.» Selon lui, les médecins sont devenus de simples exécutants des caisses, à cause des budgets globaux et des référentiels et de la télétransmission de toutes les données, «dont les caisses tirent profit alors que c’est nous qui assurons gratuitement ce travail». Il estime que les unions, comme les syndicats qui ont accepté ou négocié cette politique ces dernières années, ont échoué dans leur mission, tant en matière de revenus que de statut. «J’ai créé les Médecins libres quand j’ai vu à quel point le mécontentement était général, et près d’un libéral sur deux nous soutient», poursuit le Dr Grauduszus. Il pense que le mouvement des médecins ira en s’amplifiant, et annonce déjà, pour le 19 mai, une nouvelle manifestation à Berlin «encore plus importante que celles du 18janvier et du 24mars».
D’ici là, de nombreuses autres journées ponctuelles sont prévues à travers le pays : le printemps médical allemand promet d’être encore plus « chaud » que l’automne et l’hiver derniers.
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