Si la maladie organique peut être la cause de dépression « réactionnelle », celle-ci peut en retour retentir sur le cours évolutif de l'affection somatique : les maladies cardiovasculaires, le diabète et les maladies auto-immunes ont sont des exemples.
La dépression affecte, à différents degrés (dépression majeure ou symptômes dépressifs), plus de 30 % des patients hospitalisés pour maladies cardio-vasculaires.
Chez ces patients, même si a priori rien ne permet de confondre les symptômes d'une maladie cardio-vasculaire avec un trouble d'origine dépressive, la dépression est encore trop souvent sous-diagnostiquée et sous-traitée, leurs symptômes pouvant refléter à la fois des plaintes physiques et psychologiques, souligne le Pr François Lespérance (université de Montréal, Québec).
Le problème se pose également chez les diabétiques. Une récente revue de la littérature américaine témoigne des caractéristiques spécifiques d'un état dépressif majeur chez le diabétique. L'état dépressif précède généralement un diabète de type 2 et, à l'inverse, suit celui de type 1.
La sévérité des troubles dépressifs est corrélée à un mauvais contrôle glycémique, une médiocre observance du traitement et des règles hygiénodiététiques, elle augmente le risque de complications.
En ce qui concerne les maladies auto-immunes (lupus systémique, polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Gougerot-Sjögren), leur pathogénie soulève la question des liens entre systèmes nerveux et immunitaire : si l'action des cytokines sur l'humeur et la modulation neurale de la réponse immunitaire sont bien établies, le rôle de la dépression sur le déclenchement et la progression de ces maladies reste à l'état d'hypothèse, explique le Pr Jean-Christophe Weber.
Des données quantitatives en France
L'enquête DIALOGUE (Dépression et maladies organiques associées), présentée par le Pr Silla Consoli (hôpital européen Georges-Pompidou, Paris), a été conçue pour obtenir en France des données quantitatives sur la prévalence des comorbidités entre épisodes dépressifs majeurs (EDM) et pathologies organiques chroniques associées (POCA), ainsi que sur les difficultés diagnostiques et thérapeutiques rencontrées pour la gestion de ces comorbidités en pratique médicale quotidienne.
Des généralistes, des psychiatres libéraux et hospitaliers ont participé à l'enquête. Chaque praticien était invité à décrire, à l'aide de fiches, les caractéristiques socio-démographiques, cliniques et thérapeutiques de cinq patients consécutifs répondant aux critères d'inclusion.
Quatre groupes de patients ont été constitués : 2 082 suivis en médecine générale pour une pathologie organique chronique (groupe MGS) ; 2 017, 1 335 et 522 suivis respectivement en médecine générale (groupe MGD), chez des psychiatres libéraux (groupe PLD) ou en psychiatrie hospitalière (groupe PHD).
Quarante et un pour cent des patients du groupe MGS présentent un état dépressif majeur associé à la maladie organique et, parmi les patients déprimés des groupes MGD, PLD et PHD, 47 %, 50 % et 63 % ont une pathologie organique.
Les dépressions sont assez fréquemment anciennes (plus de six mois) et sévères (échelle MADRS). Cependant, seul un patient sur cinq du groupe MGS a un traitement antidépresseur au long cours.
Les pathologies organiques (cancers, infection par le VIH, affections neurologiques, insuffisance rénale, affections ostéo-articulaires, diabète de type 1, insuffisance coronaire), dont le retentissement fonctionnel est jugé le plus sévère, sont considérées comme le plus souvent responsables d'un épisode dépressif majeur.
L'avis d'un psychiatre
Malgré la difficulté diagnostique liée à la comorbidité, difficulté reconnue par tous les praticiens, les médecins généralistes demandent rarement (5 %) l'avis d'un psychiatre et s'appuient insuffisamment sur les signes affectifs et cognitifs spécifiques de la dépression (autodépréciation, anhédonie).
La fréquence trop souvent méconnue de l'association dépression-maladies organiques plaide pour une collaboration plus étroite entre somaticiens et psychiatres, ainsi que pour des actions de formation continue à l'adresse des médecins généralistes, mais aussi des psychiatres.
A la suite de ce colloque national organisé à Strasbourg par le Laboratoire Ardix Médical, plus de vingt colloques régionaux et quatre cents tables rondes seront organisés dans toute la France, permettant ainsi à près de 3 000 psychiatres, 1 000 somaticiens et 2 500 médecins généralistes de bénéficier d'un programme de formation autour de la dépression et des maladies organiques associées.
Colloque organisé par le Laboratoire Ardix Médical, présidé par le Pr J.-F Allilaire (Paris).
La psychiatrie de liaison
Inspirée de la pratique et des travaux du Pr Consoli, la psychiatrie de liaison est une approche transversale où psychiatres et somaticiens utilisent leur compétence et leur savoir-faire pour favoriser une approche globale des patients. Cette prise en charge ne se limite pas à la détection de troubles mentaux chez les patients qui ont une maladie organique, mais concerne également leur accompagnement et la prise en compte des répercussions psychologiques que peut avoir une maladie organique, et des interactions avec les troubles de l'humeur.
Ce partage de savoir-faire se met en place très progressivement dans les structures hospitalières.
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