«SI, LONGTEMPS, les psychiatres n’étaient que rarement sollicités pour le suivi des femmes âgées dépressives, le nombre des plus de 75ans adressées par les médecins généralistes pour avis psychiatrique augmente régulièrement depuis quelques années», analyse le Dr Thierry Gallarda (hôpital Sainte-Anne, Paris). L’incidence de cette pathologie reste importante, puisque l’on estime que, en médecine générale, de 15 à 40 % des consultantes âgées souffrent de signes d’anxiété ou de dépression. Et lorsqu’une pathologie chronique ou un handicap s’ajoute, c’est plus d’une femme sur deux qui souffre de repli sur soi, de perte de la pratique des actes quotidiens, voire de dépendance surajoutée. L’incidence de la dépression varie aussi avec le mode de vie : elle est en effet plus faible chez les femmes qui vivent en famille ou dans un environnement affectif et amical, alors que, en maison de retraite, en institution gériatrique et chez les personnes hospitalisées, elle est élevée. Dans les grandes villes, où le tissu social est moins important que dans les villages, les femmes âgées qui vivent seules et qui ne bénéficient pas d’un suivi médical en l’absence de pathologie chronique sont livrées à elles-mêmes. Elles peuvent perdre lentement leur autonomie dans une certaine indifférence et être adressées à un service médical ou psychiatrique à l’occasion d’un événement intercurrent : refus alimentaire, voire anorexie, abus d’alcool ou de tranquillisants, mélancolie, passage à l’acte suicidaire. La symptomatologie peut aussi parfois se limiter à des gémissements ou à des plaintes somatiques : asthénie, céphalées, palpitations, algies, vertiges, dyspnée ou constipation. Un état anxieux pouvant aller jusqu’à un réel tableau de panique permanent et de déambulations doit aussi alerter les soignants. «Chez les femmes isolées, l’apparition d’un trouble somatique ou d’un déficit sensoriel –même de faible intensité– apparaît comme un facteur qui déclenche un questionnement sur le sens de la vie à un âge avancé», explique le Dr Gallarda.
Perte du plaisir à faire, inutilité de l’être.
Les troubles de la vie affective à cet âge sont centrés sur la démotivation qui rend compte de la perte du plaisir à faire, de l’inutilité de l’être, de l’insignifiance du lendemain, de la perte de l’habitude, puis du goût à entreprendre, du renoncement à anticiper. Il en résulte un désengagement affectif, relationnel, et des troubles centrés sur l’idée : «Ce que je fais ne compte pas.» Lorsque l’examen psychologique est effectué de façon rigoureuse, le diagnostic d’un trouble anxiodépressif de la femme âgée n’est pas fondamentalement différent des personnes plus jeunes. En pratique de ville, il est possible de recourir à des échelles de dépression mises au point spécifiquement pour la gériatrie, qui contiennent un nombre limité d’items centrés sur le sens de la vie et les enjeux liés au vieillissement.
Le repli sur soi.
La personne âgée et malade réagit souvent à la solitude par une agressivité qui, paradoxalement, éloigne ceux que sa souffrance devrait rapprocher d’elle. Le repli sur soi, dans une attitude de distanciation familiale, ou le refus de sortir de la chambre en institution représente parfois une forme de défense pour ne plus déranger ou pour se protéger de l’indifférence ambiante. Enfin, avec l’âge, les formes de dépression à masque confusionnel, voire psychotique, ne sont pas exceptionnelles.
La prise en charge thérapeutique ne doit pas se réduire à l’instauration d’un traitement médicamenteux ou à une électronarcose. Un suivi psychothérapique peut en effet être mis en place, même à un âge avancé. Il permet une verbalisation à un moment de la vie où les événements douloureux ne sont pas rares. Ce suivi peut contribuer à mieux comprendre le passé qui redevient souvent très présent lorsque l’âge avance et à faire un bilan des relations avec les parents et avec la fratrie. C’est à cette occasion que la patiente peut mettre en place des processus de résilience qui lui permettent de renouer des liens sociaux et familiaux et de retrouver une envie d’entreprendre.
Des traits
Eléments présents indépendamment de l’âge : désespoir, pessimis-me, perte de l’anticipation, troubles de l’humeur, anxiété, mésestime de soi, anhédonie, troubles neurovégétatifs (anorexie, amaigrissement, troubles du sommeil), ralentissement psychomoteur.
Traits de la dépression de la personne âgée : instabilité, agressivité, colère, somatisations fréquentes, démotivation, ennui, sensation douloureuse de vide intérieur, repli sur soi, isolement, angoisse matinale, confusion, dépendance, troubles mnésiques allégés, impression d’inutilité d’être, suicides programmés et réussis.
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