Décision Santé. Comment est perçue, actuellement, la question de la dépendance ? Qu’en est-il du débat ?
Roselyne Bachelot. J’ai demandé et obtenu du président de la République d’avoir un débat participatif, réfléchi. J’ai voulu dresser le tableau de la dépendance dans notre pays. Car, même s’il y a eu beaucoup de rapports sur la question, ils étaient contradictoires, parfois flous ou anciens. Ils n’étaient pas très précis sur l’ampleur du problème et sur les solutions qu’il convenait d’y apporter. J’ai d’abord réuni les quatre groupes de travail, avec l’idée qu’il s’agit avant tout un débat de société, et pas seulement un débat financier. D’ailleurs le premier groupe de travail a planché sur le thème suivant : « Quelle place pour la personne âgée dans notre société ? » Par ailleurs, j’ai aussi voulu que cette réforme ne soit pas celle de l’urgence ; nous devons l’inscrire à moyen terme, dans une durée de vingt à quarante ans. C’est l’objet du deuxième groupe de travail de Jean-Michel Charpin. Évelyne Ratte s’intéresse à l’offre en établissements et à domicile. Enfin, le quatrième groupe s’occupe quant à lui du financement. Et nous allons de surprise en surprise. Nous pensions que c’était une affaire connue. Les premiers chiffres du groupe de travail de Jean-Michel Charpin sont moins optimistes que ceux que l’on connaissait : apparemment il semblerait que l’allongement de l’espérance de vie aille de pair avec un allongement de la durée de dépendance.
D. S. Quelle est la méthodologie que vous employez pour mener ces débats ?
R. B. Le débat se déroule à différents niveaux. En plus des réflexions qui ont lieu dans les quatre groupes que j’ai évoqués, le débat se tient également en région, parce que j’ai souhaité que le plus grand nombre de personnes puisse s’exprimer. C’est aussi l’occasion de faire un état des lieux du terrain : la situation de l’Auvergne par exemple n’a rien à voir avec celle des Pays de la Loire. Il y a des régions où il y a des disparités inter et intrarégionales. Dans certaines, il y a des files d’attente absolument étonnantes devant certains établissements. Dans d’autres à forte dominante rurale, les taux d’occupation sont à 50 %. Ce qui nous amène à nous poser la question : faut-il un plan massif de construction d’établissements ? Nous nous rendons compte également que les services à la personne ne sont pas les mêmes selon les régions. Une chose est sûre, l’ensemble des acteurs sont préoccupés par la problématique suivante : comment conserver équité et proximité ?
Nous aurons ensuite un deuxième type de débats, autour des quatre débats interrégionaux, qui va reprendre chacun des thèmes des groupes de travail. Nous confronterons alors nos experts aux participants aux débats. Des citoyens formés interpelleront alors les « sachants » sur leurs « certitudes ».
D. S. La dépendance est un débat de société, mais c’est aussi un débat financier…
R. B. Le débat sur la dépendance est avant tout un débat de société. L’éthique l’emporte sur toute autre considération. J’ai constaté que la France n’a pas à rougir de ce qu’elle a déployé, au vu de ce qui est actuellement réalisé à l’étranger, notamment sur le plan des structures mises en place.
Pour ce qui est du financement, deux systèmes de prise en charge s’opposent. Le système allemand, uniquement financé par la Sécurité sociale. Ce système rencontre des difficultés, majorées par le bas taux de natalité. À l’inverse, le modèle suédois est totalement décentralisé et financé par les communes. L’État est uniquement garant du respect des normes. Cela entraîne le risque de générer des inégalités considérables, selon que vous êtes résident d’une commune riche ou pauvre. Le système français est un système hybride, financé à 80 % par l’État, ce qui garantit l’équité, et à 20 % par les collectivités, ce qui assure la proximité. Il faut respecter cette dualité du système français, qui est une vraie richesse, et qui nous a permis, jusqu’à présent, de concilier équité et proximité.
D. S. Certains experts pensent que les projections démographiques en matière de dépendance ne sont pas si catastrophiques que cela…
R. B. Je n’ai jamais dit que la situation était catastrophique, pas plus que le président de la République. Selon lui, la dépendance est un vrai problème ; et plus on le traite tôt, plus on a de chances d’y apporter des solutions durables. Pour une fois, nous essayons de prendre de l’avance. Les perspectives sur l’allongement de la durée de vie, on les connaît. Par ailleurs, le groupe de Jean-Michel Charpin a mis en évidence une augmentation de la dépendance avec l’augmentation de la durée de vie : cela nous interpelle. Et il y a des situations qui demandent à être résolues : le reste à charge, qui peut être considérable pour certaines familles, en particulier pour celles de la classe moyenne. Les groupes de travail ont en particulier montré que le reste à charge en établissement était en moyenne de 1 500 euros, ce qui est trop important pour certaines familles qui ne bénéficient pas d’aides suffisantes.
D. S. Comment faire baisser le coût de l’hébergement en Ehpad ?
R. B. Il faut d’abord s’interroger sur la solvabilisation des résidents, puisqu’il n’est pas question de diminuer la qualité de l’hébergement. Le débat nous dira ensuite s’il existe des sources d’efficience permettant de diminuer les coûts.
D. S. Le rapport Rosso Debord préconisait pourtant d’interdire l’imputation de l’amortissement des Ehpad sur le coût de l’hébergement, afin de faire baisser le prix de l’hébergement…
R. B. Cela fait en effet baisser les prix de l’hébergement pour le résident, mais pas pour le payeur. Il faut bien que quelqu’un paye ces amortissements…
D. S. Le même rapport préconisait la prise en charge de ces coûts d’amortissement par la CNSA…
R. B. Oui, en effet, on peut faire payer l’amortissement par la collectivité et c’est un des enjeux du débat : les amortissements dans les maisons de retraite devraient-ils être pris en charge par la collectivité nationale et par l’État ? C’est une piste parmi d’autres.
D. S. Quels sont, globalement, les enjeux financiers ?
R. B. Il faut d’abord quantifier ce qui reste à charge. La solidarité nationale, je le répète, c’est 25 milliards. Les travaux de Jean-Michel Charpin et Bertrand Fragonard vont être finalisés pour le mois de juin. Ensuite, nous pourrons donner un cadrage financier précis. Ensuite, il faut décider de ce que l’on va prendre en charge ; car tout n’a pas vocation à être payé par la collectivité nationale. Il faut néanmoins un socle de solidarité nationale, comme c’est le cas actuellement. Nous n’avons pas l’intention de privatiser la dépendance. Bertrand Fragonard va ensuite lister les possibilités de financement, dont l’essentiel est déjà connu !
D. S. Augmenter la CSG, pour vous, c’est une solution viable ?
R. B. C’est le rôle de la CSG ! Elle sert à financer de la protection sociale.
D. S. Le recours sur succession n’a pas rencontré un franc succès apparemment…
R. B. Je reconnais que le recours sur succession, à part un ou deux acteurs, n’a pas été plébiscité.
D. S. Quel sera le calendrier ?
R. B. Nous avons deux véhicules pour une mise à disposition dès 2012. Nous disposons de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) et de la loi de financement (LF). Ce qui sous-entend que les propositions que je ferai au président de la République ne peuvent être que budgétaires, sinon ce serait un cavalier social. Mais la prise en charge de la dépendance ne relève pas que de disposition budgétaire. L’immense chantier de la formation et de l’attractivité des carrières, en matière de dépendance, c’est un plan sur dix ans ! L’aide aux aidants également ne saurait se réduire à des dispositions financières, tout comme les aménagements d’aide à l’accessibilité.
D. S. Cela veut-il dire que, hormis les dispositions budgétaires que vous avez évoquées, il y aura également une grande loi dépendance ?
R. B. C’est le Président qui décidera. Il y a plusieurs véhicules législatifs qui pourraient être utiles, comme une loi spécifique traitant de problèmes comme la gouvernance, une modification des missions de la CNSA, etc.
D. S. Y aura-t-il une cinquième branche avant 2012 ?
R. B. C’est un débat qu’il faudra également aussi trancher.
D. S. La CNSA sera-t-elle amenée à jouer un rôle pivot ?
R. B. C’est une institution reconnue par l’ensemble des acteurs, qui a pris sa place dans le paysage institutionnel de la dépendance, et qui mérite d’être rénovée. Le Président a évoqué un paritarisme rénové, et nous verrons quelles propositions émergeront du débat à ce sujet.
D. S. Quel rôle devront jouer les assurances privées ?
R. B. Il faut rappeler qu’il y a d’ores et déjà cinq millions de contrats dépendance qui ont été signés. Mais il faut que les assureurs fassent un effort important en matière de lisibilité des contrats, de portabilité et de transférabilité. Je suis par exemple favorable à un label sur un contrat d’assurance dépendance.
D. S. Faut-il rendre les assurances privées obligatoires ?
R. B. Sur ce point comme sur les autres, je m’interdis de me prononcer pour laisser le débat se dérouler librement. Je veux simplement rester fidèle à des principes forts, à savoir que le socle de la solidarité doit rester maintenu.
D. S. Comptez-vous prendre des mesures à court terme concernant la formation des personnels soignants ?
R. B. Ce sera l’un des éléments du débat. Je rencontre des problématiques différentes selon les professions. L’un des maîtres mots qui revient, c’est la nécessité de la coordination gérontologique. Les personnes dépendantes sont prises en charge par une dizaine de professionnels qui ne sont pas toujours coordonnés. Qui plus est, la gérontologie n’est pas toujours enseignée dans nos formations ; on fait de la gériatrie, mais peu de gérontologie. La gérontologie est pratiquement absente de la formation initiale des professions de santé : cela pourrait être l’un des dossiers majeurs du DPC.
D. S. L’APA est sous-financée…
R. B. L’APA n’est pas sous-financée, puisque la loi ne prévoit en rien un taux de couverture minimal des dépenses d’APA par l’État. Certes, les crédits de l’État ont augmenté, mais pas aussi vite que la montée en charge de l’APA. C’est l’un des sujets de la réforme : de quelle répartition des rôles voulons-nous ? d’un État qui lève l’impôt et de départements qui versent les subventions ? Je ne suis pas certain que ce système soit le meilleur.
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