DEPUIS UN PEU PLUS de vingt ans, Patrick Malakian joue au yo-yo. Le yo-yo que celles et ceux qui pratiquent les régimes alimentaires connaissent bien. Cinq kilos en plus, quatre en moins. Lentement, mais sûrement, Patrick Malakian a pris du poids tout au long de ces années, pour bientôt atteindre 130 kg. «On s’essouffle en montant des marches, on n’arrive plus à mettre ses chaussettes. Alors, on trouve des parades, et puis, un jour, on en a marre.» Après avoir tenté plusieurs régimes, cet homme, alors âgé de 36 ans, se fait poser un anneau à l’estomac. «Je n’étais pas assez gros pour justifier l’anneau, mais je souffrais d’apnées du sommeil.» En six mois, il perd 20 kg. Et puis son poids stagne. Et puis il se remet à prendre de «vrais repas».
Petites victoires quotidiennes.
«Je recherchais le remède miracle.» Sans accompagnement psychologique. «Je me disais qu’en réglant cela (la prise de poids excessive) je réglerais tout le reste.» Au bout d’un an, n’en pouvant plus, il fait ouvrir entièrement l’anneau. Puis, simplement en «faisant attention», il réussit à perdre notablement du poids durant l’été 2005. Quinze kilos en moins. Mais l’amour qu’il voue à la nourriture et son métier (il est producteur-réalisateur) favorisent décidément les repas au restaurant.
C’est une amie qui lui parle de la clinique Montevideo, à Boulogne, où l’animateur vedette Guy Carlier a suivi une cure amincissante, visiblement efficace. «Cela correspondait à une envie d’introspection. Je voulais cesser de me cacher derrière certaines choses qui font que… je me ressers à table ou bien que j’ouvre un paquet de gâteaux sans avoir faim.» La cure proposée dans cette clinique répondait à ce désir puisqu’elle induisait, hors du cadre personnel de ce patient, un soutien psychologique en plus du suivi nutritionnel. «Je voulais perdre 15kg. Tel était l’objectif que je m’étais fixé.» Au bout des deux mois de cure, au rythme de 1 500 calories par jour, il en avait perdu 11. Un kilo et demi la première semaine, 100 g la deuxième et 100 autres grammes la troisième. «Au moment où l’on entame un programme, on attend un certain résultat. Mais l’état d’esprit change en cours de route. Je considère que j’ai bien avancé. Chaque kilo que je perds aujourd’hui, je ne le reprendrai pas… Du moins je m’en convaincs. J’ai pris conscience qu’il est illusoire de modifier en huit semaines vingt ans d’éducation alimentaire. Désormais, j’arrive à commander un plat au restaurant sans le terminer ou bien à passer devant une boulangerie sans y entrer. Ce sont de petites victoires chaque jour.»
Les trois premières semaines, il a pris tous ses repas seul dans sa chambre. Puis, et jusqu’à la fin de son séjour, a été instauré une fois par semaine un repas dominical et convivial avec les huit autres patients de l’unité. Le troisième de ces repas, qui réunissait les gourmands autour d’un poulet basquaise, fut une révélation pour Patrick. «J’ai su identifier pour la première fois le moment précis où je me suis dit que j’en reprendrais bien et où je faisais vraiment la distinction entre l’envie et la faim. J’ai pu en parler dès le lendemain avec le psychiatre. J’ai alors compris qu’on ne peut pas avoir tout ce que l’on veut uniquement parce qu’on le veut et qu’il fallait que j’apprenne à me dire non.» On ne peut pas toujours tout avoir : une découverte qui a forcément des répercussions sur tous les aspects de la vie et qu’il est bon de connaître enfin, quand on a 43 ans.
Treize tubes de mayonnaise.
Il y a huit semaines, quand Patrick a intégré la clinique, il n’avait «aucune idée de ce qu’est une calorie». Aujourd’hui, il a «faim»… de plus de connaissances sur le sujet. Pouvoir calculer la teneur calorique des aliments, notamment. C’est d’ailleurs le reproche qu’il adresse à la clinique : «On essuie un peu les plâtres car l’unité est en expérimentation. L’approche n’est pas assez personnalisée, adaptée aux besoins de chacun.» De fait, cette unité a été ouverte il y a un an et demi au sein de la clinique, par ailleurs spécialisée en addictologie.
Rares sont les services qui prennent en charge les superobèses, affirme le Dr Jean-Michel Cohen, nutritionniste à la clinique Montevideo. «Quand nous nous sommes penchés sur le cas d’un homme qui pesait alors 250kg, nous nous sommes demandés ce qui justifie que quelqu’un fonce sur la nourriture de façon si irrépressible tout en éprouvant follement le désir de perdre du poids. La semaine dernière, une patiente m’a avoué avoir consommé treize tubes de mayonnaise. Quand la boulimie crée un tel niveau d’engagement, cela s’apparente à ce que l’on peut observer en psychiatrie dans les cas de bouffée délirante. Et le problème que nous posons aujourd’hui, nous le situons au niveau de la neurobiologie et pas seulement au niveau psychologique. Il se pourrait qu’il existe des comportements toxicomaniaques vis-à-vis de la nourriture. Or, si l’addiction alimentaire est traitée sur le plan neurobiologique, on peut modifier les comportements thérapeutiques. Et, de fait, nous observons que certains neuroleptiques, actifs chez les drogués, fonctionnent aussi chez certains superobèses. »
La tentation du mauvais aliment.
Pour l’instant, reconnaît le Dr Cohen, ce n’est qu’une voie de réflexion, qui soulève de nombreuses questions. «N’existe-t-il pas un groupe d’aliments qui déclencherait ce comportement addictif? Les psychotropes seraient-ils actifs? Faut-il jeter la psychothérapie avec l’eau du bain?» L’unité d’addiction alimentaire de la confortable clinique est pour le moment en phase d’observation. Et la démarche est la même que dans les autres services : groupes de parole, présence d’infirmiers formés, utilisation de substances chimiques, durées d’hospitalisation longues. Les superobèses restent hospitalisés pendant six mois au minimum. Chez eux, «la rechute survient très vite», constate le Dr Cohen. La clinique Montevideo est financée essentiellement grâce à la générosité de Benjamin de Rothschild. Les mutuelles acceptent la prise en charge de telles cures pour les obèses et superobèses, assure le Dr Cohen, «car elles savent bien que ces personnes vont leur coûter très cher».
A sa sortie, Patrick Malakian redoutait une chose : la tentation du mauvais aliment. Le «mauvais aliment», c’est celui qui en appelle d’autres. Comme la mozzarella, par exemple, pour Patrick. Contrairement à une pomme ou un yaourt, qui, selon lui, peuvent se suffire à eux-mêmes. Mais heureusement, le contact avec le psychiatre n’est pas rompu. C’était la condition pour qu’il soit entamé.
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