Un variant d'un gène a un effet protecteur

La dengue invalidante bientôt vaincue ?

Publié le 17/04/2005
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LA DENGUE, parfois appelée « grippe tropicale », est une maladie virale (arbovirus) transmise par le moustique Aedes. Elle sévit dans les zones tropicales, notamment en Asie et en Amérique du Sud, et doit être évoquée devant un état fébrile au retour d'un voyage en zone endémique. De 60 à 100 millions d'individus sont infectés chaque année dans le monde, et la forme hémorragique (1 % des cas de dengue) est responsable de plus de 20 000 morts par an, particulièrement chez les enfants de moins de 15 ans.
Il n'existe aujourd'hui ni traitement spécifique ni vaccin pour combattre cette maladie, mais de nombreuses études multidisciplinaires sont en cours.

Un récepteur essentiel.
Il y a près de deux ans, un récepteur cellulaire crucial pour l'infection par le virus de la dengue a été identifié par deux équipes de l'Institut Pasteur. Inoculé dans la peau, le virus interagit avec des cellules du système immunitaire, les cellules dendritiques, considérées comme les premières cibles du virus.
Les chercheurs ont démontré que le récepteur DC-SIGN1 (« dendritic-cell-specific ICAM3-grabbing non-integrin ») situé à la surface des cellules dendritiques constitue pour le virus de la dengue un site de fixation, nécessaire à l'infection active de ces cellules.
L'équipe de Cécile Julier, de l'Institut Pasteur (Paris, génétique des maladies infectieuses et auto-immunes), a mené, en collaboration avec des chercheurs thaïlandais, une étude génétique de ce récepteur auprès de sujets thaïlandais atteints de dengue et de témoins sains. L'objectif des chercheurs était de déterminer si des variations (ou polymorphismes) du gène CD209 sont associées au risque de dengue. Les résultats de cette étude sont décrits dans « Nature Genetics ».

Trois cohortes indépendantes.
Les chercheurs ont recruté des enfants âgés de 5 à 15 ans, respectivement atteints de dengue (cas) et indemnes (témoins) dans trois hôpitaux thaïlandais.
Les enfants infectés présentaient soit une dengue sévère invalidante (fièvre, rash, manifestations hémorragiques ou hépatomégalie, sans pertes plasmatiques), soit une dengue hémorragique (mêmes symptômes avec une fuite plasmatique se traduisant par une hémoconcentration ou un épanchement pleural).
Au total, 606 enfants affectés et 696 enfants témoins ont été étudiés.
En étudiant une première cohorte, les chercheurs ont trouvé une forte association entre un variant du promoteur du gène - DC-SIGN1-336 - et le risque de dengue invalidante, comparativement à la dengue hémorragique et à la population témoin. Ils ont ensuite répliqué leurs résultats dans les deux autres cohortes indépendantes.
L'allèle G du variant DC-SIGN1-336 est associé à une forte protection à l'égard de la dengue invalidante, mais non contre la dengue hémorragique. Ainsi, cet allèle G est porté par 5 % des sujets atteints de dengue invalidante, contre 23 % de ceux présentant une forme hémorragique et 20 % des témoins. Ce variant affecte le niveau de transcription du gène CD209 in vitro.

Des mécanismes différents.
« Nos résultats génétiques suggèrent que la dengue invalidante et la dengue hémorragique, deux formes sévères de cette maladie, pourraient faire intervenir des mécanismes physiopathologiques qui sont au moins partiellement différents », déclarent les chercheurs. L'allèle G, probablement associé à une diminution de l'expression du gène CD209, pourrait abaisser la susceptibilité des cellules dendritiques à l'égard du virus de la dengue aux premiers stades de l'infection, tandis que d'autres processus physiopathologiques prévaudraient dans la dengue hémorragique.
Pour les auteurs, ces observations auront des conséquences sur le développement de traitements fondés sur le CD209 en vue de traiter ou prévenir les infections causées par le virus de la dengue et par de nombreux autres micro-organismes pathogènes.
Le CD209 est, en effet, un facteur d'ancrage pour d'autres organismes pathogènes : des virus à enveloppe protéique glycosylée, dont le VIH1, le VHC, le CMV, le virus Ebola, et le coronavirus du sras ; des bactéries comme Mycobacterium tuberculosis ; et des parasites comme Leishmania et Schistosoma mansoni.
« Le variant DC-SIGN1-336 (et peut-être d'autres variants génétiques de CD209) pourrait donc jouer un rôle dans la susceptibilité à d'autres maladies infectieuses, comme cela est suggéré par la susceptibilité à l'infection VIH1 parentérale, » indiquent les auteurs.

« Nature Genetics », 17 avril 2005, DOI : 10.1 038/ng1 550.

> Dr VERONIQUE NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7731