L'AUTEUR se livre, dans son livre le plus récent, à une analyse des grandes religions révélées, avec un esprit critique, mais dénué de tout préjugé. C'est ce qui fait la valeur de « la Guerre du doute et de la certitude », avec ce sous-titre : « la Démocratie face aux fanatismes ».
Pour l'avoir déjà lu, on sait que Grjebine s'inquiète surtout du fanatisme religieux et de ses conséquences géopolitiques. Mais il n'étudie pas l'islam et ses préceptes sans les comparer aux prescriptions des autres religions.
Bien qu'il aboutisse à la conclusion que l'on pouvait attendre de lui, c'est-à-dire la supériorité de la raison sur la révélation, il ne néglige nullement l'apport des religions et se garde bien de les condamner sur le plan historique. Cette modération permettra aux plus pieux d'entre nous d'entrer dans son livre et d'y trouver quelques enseignements nécessaires.
Nous savons pourquoi nous défendons en France la laïcité avec acharnement et obstination : nous disposons déjà de la preuve qu'elle autorise toutes les communautés religieuses à cohabiter au sein de la même communauté nationale. Encore faut-il savoir ce qui différencie un musulman d'un catholique, un juif des autres et un protestant des précédents. A l'appui de sa démonstration, André Grjebine apporte une érudition qui coupe le souffle et dont l'éclectisme est surprenant : non seulement il examine la Torah, les deux Testaments ou le Coran, mais il s'inspire de plusieurs spécialistes des religions et même de ceux dont la notoriété n'est pas liée à leurs connaissances en matière religieuse, de Dostoïevski à Tocqueville. Ce qui nous rappelle que les haines religieuses ne datent pas d'hier et que leur influence sur le comportement des nations a été permanente dans l'histoire ; et nous apprend que les sociétés dites ouvertes sont vulnérables par rapport aux sociétés « fermées » parce que, précisément, elles pratiquent une tolérance qui peut favoriser la progression du tout religieux.
Bien entendu, l'auteur examine la prédiction du « Choc des civilisations » faite par Samuel Huntington, pour lui apporter une correction essentielle : «La confrontation qui s'esquisse ne s'apparente pas à une nouvelle guerre des religions, mais oppose la société ouverte aux mouvements politico-religieux les plus éloignés de la modernité.»
Grjebine montre, avec Lévi-Strauss, que «nous sommes contaminés par l'intolérance religieuse» et que nous n'osons plus soumettre l'islam à l'analyse critique que nous faisons subir aux autres religions. Il souligne ce qu'il appelle « l'inversion des valeurs » et celle des rôles, les victimes étant parfois traitées comme des bourreaux. Mais il se garde de toute imprécation et, en plaçant le « magique » (le religieux) au-dessous de la raison, il indique que le choix de la laïcité est impératif.
La bataille du doute et de la certitude n'est rien d'autre que celle, à armes inégales, du scepticisme contre le fanatisme. Comme nous ne sommes sûrs de rien, nous ne pouvons opposer à ceux qui se croient investis d'une mission divine au nom de laquelle ils assassinent, brûlent, violent et parviennent de la sorte aux pires blasphèmes, la même conviction mise au service de la force. De même que l'on n'a pas besoin de Dieu pour expliquer l'univers, de même on peut construire la Cité sans la soumettre à un ordre qui ne serait établi que par l'interprétation des textes divins qu'en font les fanatiques. Quand un groupe brandit sa foi, ce n'est pas de Dieu qu'il tient sa légitimité, c'est de ce qu'il croit détenir de Dieu et dont personne n'a la preuve.
« La Guerre du doute et de la certitude » n'est pas nécessairement d'accès facile, mais c'est une somme remarquable sur un problème éminemment contemporain. Située au coeur de l'actualité, la troisième partie de l'ouvrage apporte en outre un soutien intellectuel et moral à tous ceux d'entre nous refusent de céder à l'intolérance.
(1) 19 euros.
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