Plus de peur que de mal ? Fin juin dernier, à grands renforts de fuites dans la presse, on annonçait la publication imminente du décret qui devait, en théorie, aboutir à la fermeture des services de chirurgie qui pratiquent moins de 1 500 actes par an. Devant la bronca de l’Association des petites villes de France (APVF), furieuse que l’on ferme une cinquantaine de blocs, le ministère de la Santé a eu l’idée (éculée) de mettre sur pied une mission « d’accompagnement de la réorganisation de l’offre de soins dans le cadre des décrets médecine-chirurgie ». Lors de l’installation de cette mission, Roselyne Bachelot réaffirmait la nécessaire réorganisation de l’offre sanitaire en citant, à l’appui de son propos, force exemples. Et annonçait à mi-mots la conversion du sanitaire en médicosocial. Pour encourager ces restructurations, Roselyne Bachelot a promis des crédits : « 5 millions d’euros dès 2010, 20 millions en 2011, et 20 millions en 2012. » Une promesse de crédits d’autant plus facile à tenir que de nouveaux outils législatifs, contenus dans la loi HPST, devront être activés en 2011, et permettront de dégager des financements pour la conversion d’activités sanitaires en médico-social. Il s’agit surtout de la fongibilité asymétrique des enveloppes du sanitaire vers le médico-social. Que dit cet article de la loi HPST ? D’abord, des conversions d’activité sont envisageables du sanitaire vers le médico-social, mais l’inverse est interdit. Et ensuite, en cas de conversion d’activité, les nouveaux services médico-sociaux créés bénéficieront « du financement alloué aux établissements et services médico-sociaux qui fournissent des prestations comparables ». Cet article de loi devrait amplifier le mouvement à l’œuvre de conversion du sanitaire vers le médico-social.
« Les services ferment… »
Interrogée par Décision Santé en décembre dernier (cf. Décision Santé n° 260 p. 11), Nora Berra, secrétaire d’État aux aînés, partageait ce point de vue : « Vous avez constaté que des services ferment, parce qu’il n’y a pas assez de fréquentation, en particulier dans certains services de chirurgie… Ces lits devraient être affectés au médico-social, en fonction des besoins. » De quoi ragaillardir les établissements privés non lucratifs (PNL), qui couvrent 56 % de l’offre de soins en médico-social, loin devant le public (35 %), et le privé (9 %). Yves-Jean Dupuis, délégué général de la Fehap, n’en disconvient pas : « L’évolution du système de protection sociale nous laisse croire qu’il y aura de plus en plus besoin de mettre en place des structures médico-sociales, pour les personnes âgées dépendantes mais aussi pour les handicapés vieillissants, etc. » Cette lente conversion du sanitaire vers le médico-social est également inscrite dans les objectifs du plan solidarité grand âge. Et part d’un constat démographique simple : « Le nombre de personnes de plus de 85 ans […] va quasiment doubler dans les dix prochaines années, passant de 1 100 000 personnes à 1 900 000 personnes en 2015. » Pour faire face au papy-boom, le plan solidarité grand âge prévoit, entre autres mesures, la « création chaque année de 5 000 places en établissement ». Problème : ces mesures devraient prendre effet en pleine crise économique, au moment où, justement l’Objectif national de dépense de l’assurance maladie (Ondam) est revu à la baisse. Ainsi, selon le quotidien Les Échos du 15 septembre dernier, l’Ondam médico-social ne serait en 2011 que de 3,8 %, alors qu’il était, les années précédentes, au-dessus des 5 %. Les SSR, qui sont du ressort du sanitaire, devraient également subir une coupe réglée dans les années qui viennent.
La fongibilité, levier de restructuration
Pour créer des places d’accueil pour les plus âgés, il est donc fort à parier que le sanitaire MCO devra verser son écot, et convertir blocs et maternité en hôpital de jour, Ehpad, etc. Et donc user de ce nouveau levier qu’est la fongibilité asymétrique. Côté « personnes âgées », l’on s’en défend. La fongibilité asymétrique des ressources n’a d’autre but que de sanctuariser les financements du médico-social, pour éviter que ce secteur ne se fasse vampiriser par le sanitaire, selon Yves-Jean Dupuis : « Sans cette fongibilité asymétrique des ressources, le secteur médico-social aurait pu voir s’envoler les enveloppes destinées au développement du médico-social, au profit du secteur sanitaire. On aurait également pu assister à la transformation des structures sanitaires en structures médico-sociales sans le transfert des moyens. » Car la loi HPST crée les agences régionales de santé (ARS), qui gèrent aussi bien le sanitaire que le médico-social : « Avec les ARS il n’y a plus qu’une seule instance de tarification qui gère l’hôpital, l’ambulatoire, le médico-social et la prévention. Le médico-social craignait, au sein des ARS, un hospitalocentrisme », précise Agnès Marie-Egyptienne, directrice de cabinet de Nora Berra, secrétaire d’État aux Personnes âgées. Lequel hospitalocentrisme aurait pu être fatal : « Il y a dans la fongibilité une approche défensive. Constatez : le dépassement de l’Ondam hospitalier, qui a été de 400 millions d’euros en 2009, est l’équivalent de deux années de création de places dans le médico-social ! », s’inquiète David Causse, coordonnateur du pôle santé-social de la Fehap. Néanmoins, si la fongibilité tient à préserver le médico-social du sanitaire, elle va également, loin s’en faut, encourager la conversion du sanitaire en médico-social : « On sait aujourd’hui qu’il y a une reconfiguration de la carte hospitalière, de façon à mailler le territoire. Sur un territoire il faut un établissement de référence (MCO, etc.) qui travaille en complémentarité avec d’autres. Dans ce cadre-là il y a certains services, ou même certains établissements qui pourraient se réorienter plutôt vers une prise en charge des personnes âgées, soit du court séjour vers le gériatrique, soit être transformés en structures médico-sociales », explique Agnès Marie-Egyptienne, directrice de cabinet de Nora Berra.
Une restructuration à l’œuvre
Cette conversion est d’autant plus probable qu’elle a déjà lieu sur les territoires ! Pour René Caillet, responsable du pôle organisation des soins et du médico-social, elle est même inquiétante, et met en péril l’accueil des patients dans le sanitaire : « Parmi les sujets de préoccupation, aux interfaces du sanitaire et du médico-social, il y a la conversion des lits de soins de longue durée : au cours des dernières années, près de 6 lits sur 10 des USLD (Unités de soins de longue durée) ont été transformés en lits d’Ehpad. Et plus encore que leur nombre global, c’est la répartition sur le territoire des capacités qui interroge ; les capacités d’accueil en soins de longue durée USLD pourraient manquer, ce qui est source de forte préoccupation… » Pour l’heure, la fongibilité asymétrique n’est pas encore d’actualité. Il faudra attendre la montée en puissance des ARS pour que ces conversions d’un nouveau genre deviennent une réalité tangible : « À ce stade, les ARS élaborent le projet régional de santé. Qui comprend trois schémas importants : le schéma régional d’organisation sanitaire (SROS), le schéma régional de prévention, et le schéma régional d’organisation médico-sociale. Nous ne pourrons faire l’état des lieux qu’une fois que ces trois documents auront été faits. C’est plutôt à l’aune de 2011 que nous aurons tous les schémas », précise Agnès Marie-Egyptienne. De quelle nature seront ces conversions ? On peut tout imaginer : du MCO vers le SSR (intersanitaire), du MCO vers le médico-social, du SSR vers le médico-social… L’éventail des restructurations est d’autant plus riche que le médico-social ne relève pas uniquement de l’accueil des personnes âgées, mais aussi de l’accueil des handicapés. Toujours est-il que, du côté du SSR privé lucratif, la fongibilité des enveloppes est une lointaine inquiétude. Théodore Amarantinis, délégué général FHP SSR, est beaucoup plus inquiet par l’instruction de la DGOS du 19 mai 2010, qui limite l’extension et l’autorisation des SSR. Côté Fehap, on assure que l’ensemble des restructurations ont été réalisées durant les dernières décennies, certifie Yves-Jean Dupuis : « Nos établissements ont fourni la preuve, depuis de très nombreuses années, de leur capacité à s’adapter. Nombre de nos établissements, qui étaient de court séjour il y a trente ans, se sont orientés vers le SSR, pour maintenant se transformer en Ehpad. »
Des besoins criants
Il n’empêche : sur le terrain, les besoins en structures médico-sociales restent criants : « Nous venons de mener une étude qui montre des inégalités territoriales. Nous avons par exemple des grands besoins dans le Nord. C’est très contrasté entre les zones urbaines, périurbaines, rurales, etc. Nous rencontrons tous les cas de figure : il y a des zones qui sont surdensifiées en SSR, parce qu’éloignées de Paris, tandis que d’autres manquent cruellement de lits », pense Yves-Jean Dupuis, de la Fehap. « Il y a trois mots clés dans cette étude : littoral, métropole et urbain. Si on est dans une zone littorale, métropolitaine, et urbaine, alors il y a des ressources humaines. Dès lors que l’on n’est pas situé en littoral, ou en zone métropolitaine, et dans les deux cas en zone urbaine, alors là, les problèmes commencent. » À cette disparité territoriale s’ajoutent des difficultés de financement. Car, dans le cas des Ehpad par exemple, si les soins sont financés par l’assurance maladie, l’hébergement est payé par le conseil général et le résident. Mais les conseils généraux traversent une situation de crise économique : « Aujourd’hui, les départements ne sont plus en mesure d’aider à l’investissement dans les Ehpad. Un des coûts importants qui pèsent, c’est l’amortissement des biens », déplore Yves-Jean Dupuis. Si la fongibilité des enveloppes pourra aider à financer en partie les soins dans le médico-social, il ne résoudra en aucune manière le problème du financement de l’hébergement dans le médico-social. Reste que, avec des départements mal en point, la mise en place d’un cinquième risque reste la sortie de crise la plus probable du médico-social. Et, paradoxalement, par un effet de vases communicants, la restructuration de la carte hospitalière dépendra donc aussi, de la création (ou non) du cinquième risque…
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