Adolescents en souffrance

La défenseure des enfants en appelle aux médecins

Publié le 19/11/2007
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PRÈS DE 800 000 adolescents, soit 15 % des 11-17 ans*, vivent dans un état de souffrance psychique. Le suicide, avec son cortège d'idées noires qui se conjuguent sur les modes des troubles alimentaires et du sommeil, de la toxicomanie, de la violence et de la déscolarisation, en témoignent (voir ci-dessous). Dix pour cent se livrent à l'anorexie ou à la boulimie, avec 1 % de formes très graves, surtout chez les filles. Un sur quatre, principalement dans la population féminine, est un dormeur contrarié. Un sur dix prend des médicaments pour s'endormir ou lutter contre le stress et l'anxiété. La France est le troisième pays où la jeunesse consomme le plus de psychotropes, à l'origine par ailleurs de 85 % des tentatives d'autolyse au féminin. Au chapitre des poly-addictions, l'usage d'alcool-tabac-cannabis a doublé en dix ans, pour concerner un tiers des jeunes. Parmi les élèves de 6e-5e, la « défonce » en buvant, parfois jusqu'au coma éthylique, se répand. A 15-17 ans, un quart des jeunes ont été ivres plus de quatre fois dans l'année. Et, bien souvent, la boisson pousse à des agressions, y compris sexuelles. La violence, c'est aussi la multiplication de jeux dangereux, l'apparition du « happy slapping » consistant à filmer au portable une attaque contre une personne et à en diffuser les images, le mal qu'on se fait à soi-même (de 5 à 10 %), les scarifications pour 11 % des filles et 7 % des garçons et la hausse des délinquants confiés à la protection judiciaire de la jeunesse.

Recalibrer le dispositif médical et psychiatrique.

Pour la défenseure des enfants, qui a fait de la souffrance psychique et du risque de suicide des adolescents le sujet de son rapport annuel, il est urgent de «recalibrer le dispositif médical, psychiatrique, social et éducatif». Le chef de l'Etat, qui réagit tout de suite et maintenant aux problèmes posés, ne manquera pas aujourd'hui même, Journée internationale des droits de l'enfant, de faire connaître les suites qu'il entend donner aux recommandations de Dominique Versini.

En premier lieu, elle demande que les consultations médico-psychologiques (CMP), «pilier d'entrée du secteur de pédopsychiatrie», puissent répondreaux besoins. Et on en est loin. Le temps sur les listes d'attente varie de trois à douze mois et les 1 860 lits d'hospitalisation à temps complet se révèlent insuffisants, notamment dans 16 départements, «du fait de la fermeture de 3700 d'entre eux en vingt ans». Et 800 postes de psychiatres et 15 000 d'infirmières en psychiatrie publique restent non pourvus. «Il est indispensable pour pallier (ce) manque de former à la pédopsychiatrie les urgentistes, les pédiatres et les internistes», tout en augmentant le nombre de places au concours de l'internat.

Il faut, en outre, que les adolescents puissent être admis en pédopsychiatrie jusqu'à 18 ans (et non quinze comme c'est le cas actuellement) et «développer des relais départementaux diversifiés de soins-études pour les collégiens et les lycéens ainsi que des places en hôpitaux de jour», écrit la défenseure des enfants.

En milieu scolaire, les 2 000 médecins, chargés notamment de réaliser le nouvel entretien de santé en 5e, «très important pour le dépistage de la souffrance psychique», comme les 6 800 infirmières, ne suffisent pas, malgré, pour ces dernières, un recrutement de 500 par an sur la période 2005-2010.

Former les médecins.

Dominique Versini s'inquiète en outre du rôle des omnipraticiens, qui sont «peu formés durant leurs études à la psychologie de l'enfant» et qui manquent de temps «pour créer un contact», alors que 83 % des jeunes en consultent un dans l'année. Depuis 2004, les internes en médecine générale doivent faire des stages en pédiatrie et en psychiatrie. L'idéal serait de «rendre obligatoire la formation des généralistes, des pédiatres, des médecins scolaires et des urgentistes au référentiel pour un repérage précoce de la souffrance psychique et des troubles du développement» élaboré par la Fédération française de psychiatrie (voir encadré).

C'est, en somme, à une petite révolution du comportement du généraliste à laquelle appelle la défenseure des enfants, sans envisager toutefois les consultations au long cours (une heure), rémunérées en conséquence, que certains jugent nécessaires pour le dépistage précoce du mal-être.

Plus en amont, elle évoque les 265 Points accueil écoute jeunes, «réseau de proximité intéressant, mais inexistant en zone rurale, qui repose sur des structures associatives souvent précaires financièrement» ; le Fil santé jeunes (0800.235.236) qui devrait être ouvert 24 heures sur 24 en offrant la gratuité des appels à partir d'un portable ; la création d'une ligne téléphonique pour les parents d'enfant en souffrance psychique ; et les Maisons des adolescents (18 en 2007) qui devraient couvrir tous les départements dans les trois ans.

* Au 1er janvier 2007, la France compte 5 256 369 adolescents âgés de 11 à 17 ans (INSEE).

Les missions du défenseur

Dominique Versini a été nommée au poste de défenseur des enfants, pour six ans, le 30 juin 2006. Elle travaille avec 27 permanents et 55 correspondants territoriaux.

La mission du défenseur est, en premier lieu, de recevoir directement les réclamations des personnes estimant que les droits d'un enfant n'ont pas été respectés. Ces réclamations peuvent provenir des enfants, de leurs parents ou de leurs représentants légaux, des associations reconnues d'utilité publique défendant les droits des enfants, mais aussi, depuis la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, des membres de la famille des mineurs et des services médicaux et sociaux.

Cette année, la défenseure des enfants a traité 2 100 réclamations concernant 2 600 enfants, dont un tiers âgés de 11 à 15 ans. Parmi ces requêtes, 1 350 étaient nouvelles, soit 10 % de plus qu'en 2006. Cinq pour cent des réclamations touchent à la santé ou au handicap, 4 % aux abus sexuels/maltraitances, 37 % à une situation de rupture familiale (divorce, séparation, décès) et 16 % concernent des mineurs étrangers.

Le défenseur a aussi pour mission de proposer aux pouvoirs publics des modifications des textes législatifs ou réglementaires. Enfin, il doit assurer la promotion des droits de l'enfant et d'organiser des actions d'information sur ces droits.

> PHILIPPE ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8260