LES SENSATIONS extracorporelles ou les décorporations demeurent mystérieuses aux yeux de la médecine. Si leur origine relève du domaine des hypothèses, leur localisation cérébrale, quant à elle, semble bien avoir été débusquée, avec l'aide du hasard, par des médecins belges.
Avant de nommer ces aires, rapporter leur découverte mérite aussi d'être relatée. Dirk De Ridder (Antwerp) et coll. tentaient de traiter par électrostimulations cérébrales une femme de 63 ans atteinte d'acouphènes résistant aux thérapeutiques classiques. Les électrodes avaient été implantées au niveau de la jonction temporo-pariétale droite. Lors des stimulations, sous certains paramètres uniquement, elle s'est mise à décrire des phénomènes de décorporation, sans autoscopie (impression de voir son propre corps de l'extérieur). C'est-à-dire qu'elle avait la sensation d'être en dehors d'elle-même, de se situer à 50 cm derrière et sur la gauche (s'il s'y était ajouté une autoscopie, on aurait parlé d'expérience extracorporelle). Comme ces épisodes duraient suffisamment longtemps, 17 secondes en moyenne, il a été possible de tenter une série de stimulations, réelles et placebo, sous le contrôle d'une imagerie avec émission de positons.
La jonction des gyrus supramarginal et angulaire.
L'IRM fonctionnelle a permis de visualiser l'activation de diverses aires cérébrales au cours des vraies électrostimulations. Il s'agissait d'une petite zone située à la jonction des gyrus supramarginal et angulaire (une zone corticale associée à l'intégration multisensorielle). Le gyrus supramarginal droit, chez l'humain, est impliqué dans le traitement des informations vestibulaires et de l'orientation spatiale du corps. Pour sa part, le gyrus angulaire droit induit des réponses vestibulaires et somato-sensorielles complexes. Ce qui fait suggérer aux auteurs que la jonction entre ces deux secteurs cérébraux peut être impliquée dans l'intégration somato-sensorielle au niveau vestibulaire de la position du corps dans l'espace. En outre, l'imagerie a montré l'activation d'une seconde aire : la partie postérieure du cortex temporal supérieur (en relation avec la perception de soi).
Quant à expliquer pourquoi surviennent ces sensations de décorporation, les médecins belges demeurent perplexes. Peut-être faut-il y voir la conséquence de l'activation simultanée de deux aires cérébrales qui, normalement, ne sont pas stimulées ensembles. Ou bien ces secteurs ne sont-ils activés que dans certains états pathologiques tels que les acouphènes ou l'épilepsie (comme cela a déjà été décrit). Ce travail laisse penser, enfin, que de telles expériences de décorporation pourraient être reproduites en dehors d'un contexte de pathologie cérébrale. Une nouvelle question est posée par l'équipe en guise de conclusion : ces aires cérébrales sont, elles, également activées au cours des impressions de mort imminente, pendant les lesquelles les individus rapportent aussi des phénomènes de décorporation ?
« New England Journal of Medicine », vol 357, n° 18, pp. 1829-1833.
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