Le CREDES (Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé) analyse dans son dernier « Bulletin d'information » des exemples étrangers de décentralisation de systèmes de santé (1). Des expériences scandinave, espagnole, italienne..., il ressort en particulier que décentraliser la politique de santé et/ou son financement n'est en aucun cas une solution au casse-tête de la régulation des dépenses auxquels sont confrontés la plupart des pays industrialisés. « Le déplacement de compétences d'un niveau à un autre ne résout pas miraculeusement de lui-même les problèmes complexes que pose la gestion des systèmes de santé », écrit le CREDES.
Les pays scandinaves sont ceux qui ont poussé le plus loin la décentralisation de la santé. Le financement et la gestion du système y relèvent des comtés (échelon local que l'on peut rapprocher de nos départements) voire - c'est notamment le cas en Finlande - des municipalités. Illustration de ce choix : le Danemark, où « les 14 conseils de comté, élus tous les quatre ans, possèdent et gèrent les hôpitaux et les centres de soins primaires, rémunèrent les professionnels de santé qui sont salariés ou sous contrat » et où « le financement est assuré à 87 % par des impôts locaux », explique le CREDES. Là où les municipalités ont des responsabilités, la fiscalité locale alimente également les caisses. Quand ce genre de décentralisation a cours, le rôle de l'Etat central est évidemment très limité, même s'il peut influencer les priorités d'action régionales en allouant des fonds pour des objectifs précis.
Les écueils espagnols
L'Espagne et l'Italie fournissent au CREDES deux autres exemples moins aboutis et plus récents. En Espagne, au terme d'un transfert de responsabilités qui s'est fait progressivement, les 17 régions sont désormais responsables de la gestion des services de santé, pas - ou très peu - de leurs financements (la fiscalité régionale couvre à peine 10 % des dépenses). La dualité de ce système fait que les Espagnols se heurtent à plusieurs écueils : celui des règles de la distribution et de la répartition des crédits entre les régions, celui de la coordination entre les régions (comment permettre la circulation des patients d'une région à l'autre et comment leur garantir un égal accès à des services de même qualité), celui de l'identification des responsabilités (quand le système fonctionne mal dans une région, elle argue systématiquement qu'elle est sous-financée).
Pour le CREDES, il est évident que le découplage des responsabilités gestionnaires et financières « rend les tensions inévitables ». L'étude précise : « Le gouvernement national est en effet seul responsable de l'équilibre des comptes publics, alors que les gouvernements régionaux sont jugés par la population uniquement sur la qualité de fonctionnement des services de santé. La réconciliation de ces deux objectifs ne va évidemment pas de soi. »
L'Italie a pourtant tenté le pari. En effet, après une première étape de régionalisation au début des années 1990 (les régions ayant concentré à l'époque des compétences jusque-là du domaine des échelons national et local), la péninsule a franchi une nouvelle étape dans la décentralisation de son système de santé en appliquant des principes de « fédéralisme fiscal ». Cela signifie qu'il n'y a plus, en Italie, un budget national de la santé redistribué par l'Etat entre les régions ; la responsabilité financière a été transférée et ce sont désormais des impôts régionaux qui financent le système. Une architecture qui, pour le CREDES, porte en elle « un risque d'inéquité accru entre régions ». Cela, en dépit des précautions prises par les pouvoirs publics italiens : afin d'éviter les inégalités, les régions les plus riches alimentent un fonds de solidarité au bénéfice des régions les plus pauvres.
Son tour d'horizon permet au CREDES de tirer plusieurs enseignements. L'un d'eux est que « la répartition des pouvoirs n'est jamais simple » dans un système sanitaire décentralisé et que même quand équilibre il y a, les « tensions » sont permanentes. Autre leçon : la décentralisation politique sans responsabilité financière n'a pas beaucoup de sens - « un tel système a en effet toutes les chances de conduire à des déficits dont les parties - centre et régions - se rejettent réciproquement la responsabilité », écrit le CREDES. Enfin, la décentralisation ne paraît pas être un fort déterminant du coût de la santé et de l'efficience des systèmes. Ultime hic : les inégalités semblent bel et bien être le prix à payer pour la décentralisation. « En termes d'équité du financement, relève l'étude, (elle) se solde inévitablement par des variations territoriales : ainsi, au Danemark, le taux d'imposition varie de 29 à 34 %. En Suède, le ticket modérateur pour une consultation médicale peut varier de 11 à 15 euros selon les comtés. »
(1) Dominique Polton, « Décentralisation des systèmes de santé, quelques réflexions à partir d'expériences étrangères », « Questions d'économie de la santé » n° 72.
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