POUR FAIRE un bon marqueur de la fonction rénale, une molécule doit être librement filtrée – c'est le cas si son poids moléculaire est inférieur à 50 kilodaltons (kDa) –, ne pas être réabsorbée, ne pas être sécrétée par le tubule rénal et, si possible, ne pas dépendre de la masse musculaire, du sexe, de l'âge et du régime alimentaire du patient. Or toutes ces conditions ne sont pas remplies par la créatinine. C'est pourquoi la recherche de nouveaux marqueurs de la fonction rénale, plus performants, reste d'actualité.
La créatininémie a montré des limites.
Pour évaluer la fonction rénale en routine, on mesure la filtration glomérulaire ou débit de filtration glomérulaire (DFG) par la clairance de la créatinine ou, plus communément, à partir de la créatininémie et une formule.
La concentration de créatinine plasmatique dépend partiellement de la masse musculaire. Aussi, en cas d'obésité ou, au contraire, de dénutrition, son dosage plasmatique varie et ne reflète plus véritablement la fonction rénale. En outre, il existe une petite sécrétion tubulaire de la créatinine, même en condition normale. Cette sécrétion tubulaire et le recueil des urines de 24 heures souvent inadéquat sont responsables d'imprécision pour évaluer le DFG par la clairance de la créatinine. Enfin, il existe des variabilités analytiques du dosage qui repose sur une technique colorimétrique (technique de Jaffé). C'est pourquoi quand on compare la créatininémie, mais aussi la clairance de la créatinine avec la clairance de l'EDTA marqué au chrome, technique de référence pour la mesure du DFG, on note des différences.
Pour pallier ces difficultés, la clairance de la créatinine est estimée à partir de formules. La plus utilisée est la formule de Cockcroft et Gault (C ml/min = [140-âge x poids x K]/créatininémie en µmol/l avec K = 1,25 chez l'homme et 1,08 chez la femme). Elle est utilisée depuis 1976 et a été validée dans un grand nombre de situations cliniques. Les laboratoires ont d'ailleurs pour obligation de rendre l'estimation du DFG par le calcul de la formule de Cockcroft et Gault. Cette dernière a néanmoins des limites : déjà, elle prend en compte le poids du (de la) patient(e). Ensuite, elle a tendance à sous-estimer le DFG et donc à surestimer la gravité de la fonction rénale, chez les patients de plus de 65 ans. Inversement, chez les patients obèses, cette formule surestime le DFG.
Plusieurs formules.
Depuis les années 2000, une autre formule a été proposée : c'est la formule de MDRD (Modification of the Diet in Renal Disease). Les études comparatives ont montré une supériorité de la formule MDRD par rapport à la formule de Cockcroft et Gault : meilleure précision, moindre dispersion, meilleure corrélation et moindre sous-estimation de la fonction rénale chez les sujets âgés de plus de 65 ans. Son calcul nécessite l'utilisation d'un logiciel, mais, en revanche, le recueil du poids n'est pas requis. Bien que plus proche des résultats de la technique de référence, il n'y a cependant pas d'obligation, pour les laboratoires, de la calculer. Des demandes en ce sens sont en cours. Quelques laboratoires, notamment hospitaliers, ont déjà pris l'initiative de rendre l'estimation du DFG par cette formule plus performante.
Quand on compare la performance diagnostique d'insuffisance rénale, de la concentration plasmatique de la cystatine C à celle de la créatinine, les métaanalyses rapportent une plus grande sensibilité de la cystatine C. Toutefois, comme pour la créatinine sérique, la cystatine C ne donne pas, en elle-même, une très bonne estimation du DFG. C'est pourquoi plusieurs auteurs ont mis au point une formule en se référant à la méthode que Cockcroft et Gault avaient utilisée pour la créatinine sérique. Ces formules – en particulier la formule de Hoek – sont intéressantes, mais elles ont été élaborées à partir d'un nombre encore trop faible de patients et n'ont pas été validées par d'autres équipes, ce qui limite leur utilisation en clinique quotidienne. Malgré cette lacune, ces formules semblent supérieures à l'équation de Cockcroft-Gault pour dépister certaines insuffisances rénales, en particulier les insuffisances modérées qui sont si difficiles à dépister tôt chez les seniors de plus de 60 ans. Enfin, dans l'avenir, il n'est pas interdit d'imaginer de nouvelles formules qui utiliseraient à la fois la créatinine et la cystatine C comme marqueurs.
Malgré ces avantages, le coût actuel d'un dosage de la cystatine C reste bien plus élevé que celui de la créatinine, ce qui est un frein à son utilisation. C'est pourquoi son dosage reste encore réservé à des protocoles d'études de nouveaux marqueurs de la fonction rénale et ne se fait pas en routine. Certains néphrologues pensent d'ailleurs que le dosage de la cystatine C ne remplacera jamais celui de la créatinine, exception faite de situations particulières comme les transplantés rénaux, les sujets âgés, les obèses ou dénutris, ou encore les cirrhotiques, chez qui la créatininémie fait un piètre marqueur de la fonction rénale.
D'après un entretien avec le Dr Jean-Jacques Boffa, l'hôpital Tenon, Paris.
Des qualités
La cystatine C est un inhibiteur de protéase, synthétisée à un taux constant par toutes les cellules nucléées, dès l'âge de 1 an. Son poids moléculaire est de 13 kDa : elle est donc librement filtrée par le glomérule. Autre intérêt, elle n'est pas sécrétée par les tubules rénaux, mais réabsorbée et entièrement dégradée par les cellules tubulaires proximales. Son dosage fait appel à une technique immunologique et non à une technique colorimétrique (moins fiable). Elle a donc toutes les qualités pour faire un bon marqueur.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature