« S'il n'est pas possible de dire aujourd'hui que la France ne s'est pas préparée à la menace (bioterroriste), son dispositif de réponse n'a pas encore achevé sa mise en place », note Pierre Lang, député (UMP) de Moselle, dans le rapport d'information que la commission de la Défense de l'Assemblée nationale vient de rendre public.
Le combat doit continuer. En particulier, note le parlementaire, pharmacien biologiste de formation, sur le terrain de la communication. Un terrain miné par deux arguments souvent avancés pour verrouiller l'information : d'une part, il serait difficile de communiquer sans révéler ses parades à l'adversaire et sans, d'autre part, donner de mauvaises idées à des terroristes potentiels.
Or, estime Pierre Lang, « une population bien informée est capable de faire face à de graves catastrophes et une communication adaptée lors d'un attentat bioterroriste ne saurait être efficace sans une politique de communication précrise (...) Le silence des responsables politiques ou plutôt leur minimisation du risque ne manquera pas de contribuer à l'affolement des populations en faisant le jeu des terroristes. »
Car l'affolement, la désorganisation du pays qu'il entraîne, constitue l'un des objectifs privilégiés des auteurs d'attentats, plus encore peut-être que le nombre des victimes directement frappées.
Une « communication ciblée à destination des professionnels de santé aurait pu également être mise en place, note le rapport, à travers notamment la presse spécialisée », comme cela fut le cas au Royaume-Uni : le ministre de la Santé y a organisé une vaste campagne de consultation pour que les médecins et les scientifiques fassent remonter leurs réactions au plan variole, de manière à procéder à d'éventuels ajustements. Rien de tel chez nous, nonobstant les avis et critiques émis spontanément par des hospitaliers.
Toujours au sujet des médecins, le rapport Lang s'inquiète de leur formation. Sans elle, c'est toute la veille sanitaire sur laquelle repose le système de défense qui est compromise. Certes, notent les parlementaires, les médecins inspecteurs de santé publique dans les services déconcentrés et les étudiants à l'Ecole nationale de santé publique, dès cette rentrée 2003-2004, vont bénéficier d'un module bioterrorisme ; il pourrait être inscrit dans le programme des instituts de formation aux soins infirmiers et une réflexion sur une formation postuniversitaire pourrait aussi se mettre en place, comme il en est question à Bordeaux, Nancy et Lyon.
Un plan de formation à destination des cliniciens est en cours, mais à échelle réduite : 42 personnes ont effectué un stage de deux jours, elles devront en répercuter le contenu auprès d'une quarantaine de médecins à l'intérieur de chacune des zones de défense.
Former les généralistes
En revanche, « aucun contact n'a été pris avec les conseils départementaux de l'Ordre des médecins, afin d'assurer une sensibilisation la plus large possible des médecins généralistes, sous forme de colloques ou de diffusion de plaquettes ».
Or, « la réponse au bioterrorisme ne se limite pas à l'organisation de la sécurité et des secours : le risque biologique pose le problème fondamental du diagnostic. Le premier, celui que pose le médecin généraliste, conditionne l'efficacité de la surveillance épidémiologique ». « Actuellement, estime Pierre Lang, en l'absence de campagne de sensibilisation, le généraliste risque fort d'assimiler un cas de variole à une varicelle grave ».
Dès lors, « une personne contaminée risque de se présenter finalement au service des urgences d'un hôpital, le premier diagnostic du généraliste n'étant pas le bon ».
Pour justifier l'absence d'action massive en termes de formation, les pouvoirs publics mettent en avant leur crainte d'une multiplication des fausses alertes.
Mais celles-ci, de toute manière, ont la vie dure. En France, les nombreux envois de poudre blanche sous pli postal ne se sont pas limités au seul automne 2001, avec, à l'époque, 1 500 colis détectés : « le Quotidien » a ainsi été destinataire, le 7 mars dernier, d'un pli contenant de la poudre suspecte.
Le rapport Lang relève la saturation dont furent victimes les laboratoires de sécurité mobilisés, certains devant même suspendre leur activités de base. Mais hors période de crise, plusieurs jours furent tout de même nécessaires, au printemps dernier, pour connaître les résultats des analyses pratiquées sur la poudre adressée à notre journal.
Parmi les autres lacunes pointées dans le dispositif français, la question de la sécurisation des sites sensibles reste pendante. Certes, Vigipirate a renforcé la protection de certains lieux de stockage sensibles, tels des sites de production pharmaceutique ou les laboratoires de haute sécurité de type P3 ou P4. Mais « la menace d'ingérence ou d'intrusion étrangère n'est toujours pas suffisamment prise en compte dans les autres établissements ou dans les laboratoires universitaires. Dans les faits, le contrôle des stagiaires est particulièrement délicat. La direction de la Surveillance du territoire (DST) n'est informée de la présence de stagiaires étrangers qu'a posteriori. »
Sécuriser l'information
Quant à l'accès aux informations scientifiques et techniques, il est le plus souvent en self-service : à Nancy, constate Pierre Lang, les thèses des bibliothèques du CNRS sont en consultation directe.
Sur ce chapitre sensible de la sécurisation de l'information, la polémique a éclaboussé aux Etats-Unis des revues scientifiques ; un article sur la synthèse d'une protéine du virus de la variole qui semblerait le rendre capable d'échapper au système immunitaire a été par exemple publié par l'une d'elle ; selon huit membres républicains du Congrès, l'article pouvait éventuellement permettre à des terroristes de produire à peu de frais des pathogènes humains. « Nous devons galvaniser la communauté scientifique en vue de développer des vaccins et des thérapies plus sûres et non rendre les choses à ce point compliquées que les scientifiques, découragés par la multiplication des restrictions, en viennent à se tourner vers d'autres activités de recherche, a répliqué l'auteur des travaux litigieux, Ariella Rosengard (université de Pennsylvanie). Cela signifierait que les terroristes ont vraiment gagné. »
Le rapport Lang conclut que les stratégies de réponse au bioterrorisme doivent s'inscrire « dans la politique plus générale de lutte contre les maladies infectieuses ». Somme toute, en ce domaine, les contextes de guerre pourraient présenter de fructueuses retombées pacifiques. Sans doute les protocoles élaborés dans le cadre du plan variole qui ont permis de mieux réagir à l'épisode du SRAS en donnent-ils les prémices.
Demain, l'agroterrorisme ?
La menace d'un terrorisme dirigé contre les plantes et les animaux paraît d'autant plus sérieuse que les sites comme les élevages et les abattoirs sont dépourvus de toute protection, alors qu'il est facile d'y trouver des matières infectieuses. Des cas de peste porcine ont été constatés chez des sangliers au cours du premier semestre 2003 en Moselle, relève le rapport, et ils pourraient être, par exemple, exportés d'une façon artisanale dans des élevages porcins en Bretagne, par l'intermédiaire de la rate d'un animal contaminé.
Même si elle n'était pas le résultat d'une action bioterroriste, l'épidémie de fièvre aphteuse au Royaume-Uni a coûté 14 millions de dollars par semaine à l'industrie alimentaire et bien plus à l'industrie du tourisme. De plus, la réduction de la biodiversité au sein des cheptels pourrait être à l'origine d'importants dégâts par ciblage génétique. Pierre Lang rappelle que les Etats-Unis et l'Union soviétique avaient développé dans les années 1950 des agents biologiques contre les cultures vivrières (rouille du riz et du blé). Là encore, l'appauvrissement des races de céréales plantées les rend plus vulnérables à des actions ciblées.
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