LA REFORME du médecin traitant va-t-elle aboutir en janvier 2006 à un dispositif qui décourage totalement le recours direct des patients au spécialiste ? C'est la crainte exprimée par la Csmf, premier syndicat de médecins, qui défendait jusque-là becs et ongles les nouveaux parcours de soins présentés comme une organisation « souple » et « en réseau ». Que s'est-il passé ?
En fait, deux projets de décrets très attendus, qui viennent de baliser financièrement l'accès des patients hors des parcours de soins à partir du 1er janvier 2006, ont douché l'enthousiasme de la Csmf qui juge désormais que le gouvernement « charge trop la barque » du recours non coordonné au spécialiste.
10,5 euros de reste à charge.
Le premier projet de décret, qui concerne les futurs contrats complémentaires dits « responsables » instaurés l'année prochaine (seuls ces contrats bénéficieront d'aides fiscales et sociales), instaure une franchise de sept euros (non remboursable) sur les dépassements hors parcours de soins (secteur I et secteur II). Un reste à charge déjà dissuasif pour le patient. Le deuxième décret porte sur la diminution du taux de remboursement Sécu pour l'assuré qui consultera un médecin sans prescription de son médecin traitant (sauf plan de soins, séquence de soins ou protocoles). Le projet du gouvernement, également applicable au 1er janvier 2006, autorise l'assurance-maladie à diminuer son taux de base de remboursement dans une fourchette comprise entre « 7,5 % et 12,5 % ». C'est à l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam) de fixer la pénalisation exacte appliquée au « hors-piste » mais Xavier Bertrand, ministre de la Santé, a indiqué qu'il souhaitait une baisse de 10 %. Or, pour le patient, le passage du taux Sécu de 70 à 60 % représente un supplément de 2 euros pour une consultation « hors parcours» chez un généraliste (ou MEP) et de 2,5 euros pour une consultation chez un spécialiste. Si l'on ajoute à ce ticket modérateur le forfait de 1 euro par acte et la franchise de 7 euros sur les dépassements, c'est un reste à charge global de 10,5 euros que devra assumer un patient qui contourne les parcours de soins pour consulter un spécialiste de secteur I (qui peut facturer 32 euros au maximum). Pour la Csmf, le gouvernement a franchi la ligne jaune, passant de l' « incitation » à respecter les parcours coordonnés à la « coercition ».
Où placer le curseur ?
Dans un courrier adressé à Xavier Bertrand, le Dr Michel Chassang, président de la Conf', estime que le but de la réforme « n'est pas de mettre en œuvre un système trop contraignant ». Autrement dit, ajoute-t-il, « si l'incitation laisse la place à la dissuasion, la plupart des patients n'auront d'autre choix que de passer, en toutes situations, par la case médecin traitant ». Et la Csmf de faire resurgir le spectre de la « filière de soins » britannique. Du coup, le syndicat défend plusieurs amendements aux projets de décret pour alléger les pénalités en cas d'accès direct au spécialiste. Au risque, pour la Csmf, de donner l'impression de jouer contre le médecin traitant qu'elle soutient. Mais toute la difficulté est de placer le curseur.
Le premier amendement de la Csmf concerne la prise en charge des dépassements dans le cadre des contrats responsables. Au lieu de la franchise de sept euros demandée par le gouvernement (soit le dépassement autorisé maximal sur une consultation non coordonnée de spécialiste secteur I), le syndicat propose d'exclure du remboursement seulement « la moitié » de ce dépassement autorisé. Quant à la variation du ticket modérateur via la baisse du taux Sécu, la Csmf propose , à défaut d'obtenir son annulation, de revenir à une pénalisation « symbolique ». Non pas de 10 % comme le souhaite le gouvernement, mais « au plus de 5 % ». Enfin, sur les conditions d'application de cette pénalité Sécu, le syndicat suggère d'étendre le moratoire à l'installation dont le principe est accepté par le gouvernement. Au lieu d'un moratoire de deux ans réservé aux jeunes médecins (leurs patients seraient remboursés normalement), la Csmf défend une pause de « cinq ans » pour toute nouvelle installation (jeune médecin mais aussi praticien qui reprend une activité libérale ou ouvre un cabinet dans un lieu différent). Un délai qui permettrait aux médecins concernés de « se constituer une patientèle ». Le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (Snjmg) réclame pour sa part un moratoire de « sept ans ».
Plus d'un Français sur deux a un médecin traitant
COMPTE TENU de l'accélération des retours de formulaires à la fin du premier semestre (jusqu'à 600 000 dans la seule journée du 30 juin), l'objectif de 40 % de patients inclus dans le dispositif médecin traitant a été largement dépassé. Au 8 juillet, l'assurance-maladie a enregistré « 24,1 millions de formulaires » de choix d'un médecin traitant sur un total de 48 millions de personnes de plus de 16 ans, tous régimes confondus.
Pour le seul régime général, la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam) a recensé « 19,5 millions » d'imprimés, soit « 54,6 % » de la population-cible en moyenne. Le taux de retour des formulaires fluctue selon les régions puisqu'il dépasse les 60 % dans le Nord - Pas-de-Calais, le Limousin, la Champagne-Ardenne, la Lorraine, le Poitou-Charentes et l'Alsace. Il reste en revanche à la traîne en Ile-de-France, où seulement 44 % des patients ont choisi un médecin traitant.
« Mission remplie » pour la Mutualité sociale agricole (MSA), qui se félicite de voir « 50 % de (ses) adhérents » intégrés au dispositif du médecin traitant au 30 juin, montrant ainsi, selon elle, « la forte mobilisation et l'efficacité de son réseau dans la mise en œuvre de la réforme ».
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