De notre correspondante
à New York
« Nous sommes les premiers à contrôler avec la lumière le processus biologique naturel de la mobilité cellulaire », explique au « Quotidien » le Dr Allen Ehrlicher (université de Leipzig en Allemagne), qui a dirigé ces travaux. « Cela concerne de nombreux domaines différents. Comme nous l'avons montré, cela pourrait avoir un impact important en neurosciences, et pourrait aussi aider les études qui se penchent sur la nature agressivement mobile des cellules du cancer. »
Le laser (abréviation de Light Amplification by Stimulation Emission of Radiation), un amplificateur de radiations lumineuses permettant d'obtenir des faisceaux très directifs et de grande puissance, a été exploité au cours des trente dernières années pour manipuler divers objets allant du simple atome aux cellules biologiques. Ainsi, des polymères uniques ont été micromanipulés avec la lumière, des polymères en solution ont été disposés en motifs grâce au laser, et des cellules entières ont été tenues et mobilisées par un laser spécial appelé pinces optiques.
Dans ce contexte, l'équipe du Dr Allen Ehrlicher montre que le laser peut être utilisé pour contrôler un processus biologique naturel : la croissance des neurones.
Créer des circuits nerveux in vitro
Un objectif fondamental en neurosciences est de pouvoir contrôler et guider la croissance neuronale, mais les efforts n'ont eu jusqu'ici que des succès limités. Cela permettrait de créer des circuits nerveux in vitro, lesquels seront connectés à des semi-conducteurs afin d'offrir des implants thérapeutiques dans diverses maladies neurologiques. Cette capacité permettrait aussi de mieux réparer les nerfs in vivo.
On sait que le cytosquelette, l'ensemble des filaments d'actine, forme l'armature de la cellule et lui donne sa forme, sa plasticité et sa mobilité. On sait aussi que la croissance du neurone est unidirectionnelle. Sous l'influence de nombreux signaux biochimiques, le cytosquelette d'actine pointe un cône de croissance grâce à la polymérisation de nouveaux filaments d'actine et des interactions avec des moteurs moléculaires.
Les chercheurs montrent qu'il est possible d'utiliser des forces optiques faibles pour guider la direction prise par le cône de croissance d'un neurone. Lorsqu'ils placent le faisceau du laser devant un cône de croissance d'un neurone en extension active, mais à droite ou à gauche de la direction naturelle de croissance, ils constatent que la croissance survient au cur du faisceau lumineux et ils parviennent ainsi à changer de 90 degrés la direction initiale du neurone.
En outre, le neurone guidé par le laser croît plus vite que le neurone non guidé.
« La puissance de notre laser a été choisie de façon à ce que les forces de gradient résultantes soient suffisamment puissantes pour modifier l'extension du "lamellipodium" dirigé par la polymérisation d'actine, mais trop faible pour tenir et bouger un cône de croissance. Nous utilisons donc la lumière pour contrôler un processus biologique naturel, par opposition à la technique établie des pinces optiques qui utilisent des grandes forces optiques pour manipuler des structures entières », explique au « Quotidien » le Dr Ehrlicher. « Nos résultats, par conséquent, ouvrent une nouvelle voie pour contrôler la croissance neuronale in vitro et in vivo , avec une technique simple sans contact ». Il précise, en outre, qu'ils n'ont modifié que très légèrement un appareil laser disponible dans le commerce.
« Nous envisageons maintenant de conduire des études systématiques afin de savoir plus précisément quels sont les mécanismes en jeu et, espérons-le, découvrir de nouvelles choses sur la mobilité des cellules. Après, nous passerons à des échelles de temps plus longues pour le guidage neuronal et, par conséquent, des échelles spatiales plus longues, ce qui nous permettra de guider plusieurs neurones. Cela nous permettra de créer des réseaux neuronaux et nous espérons pouvoir les utiliser dans un banc d'essai pharmaceutique comme un "cerveau en flacon" », confie-t-il au « Quotidien ».
Des applications cliniques seraient possibles dans un proche avenir.
« Dans un an environ, nous aimerions tenter un travail in vivo pour la réparation des nerfs périphériques. Nos neurones guidés pourraient servir d'éclaireurs pour que les autres se reconnectent à leurs moignons distaux respectifs. Et d'ici à plusieurs années, nous serons peut-être capables de poursuivre le travail de Peter Fromherz, à savoir créer des jonctions entre les semi-conducteurs et les interfaces biologiques et apporter plus de contrôle et de précision à ce domaine. Les applications possibles pourraient inclure diverses sortes d'implants électriques, mais, bien sûr, nous n'en sommes pas encore là ».
« Proc Natl Acad Sci USA », 26 novembre 2002
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature