Le débat au sujet du choix de Chaulnes comme site du troisième aéroport de Paris constitue un concentré de tous les choix économiques et sociaux que la France, l'Europe et tous les pays industrialisés vont devoir faire dans les vingt ans à venir.
Il suffit d'entendre la colère ou de ressentir l'accablement des habitants de ce village perdu au milieu des terres agricoles pour imaginer tout le mal que le projet adopté par le gouvernement va leur faire ; et personne ne reste insensible à leur détresse, car ce qui leur arrive peut arriver à chacun d'entre nous.
Là où j'habite, par exemple, passent des avions en provenance d'Orly ou de Villacoublay pendant la nuit. C'est rare, mais quand même désagréable. De même, un hôpital distant de trois cents mètres de mon appartement accueille à toute heure du jour et en urgence des patients transportés par des hélicoptères qui font un bruit assourdissant. Je n'ai aucun mal à imaginer ce que deviendrait notre existence si ces vols d'aéronefs étaient plus fréquents.
L'homme dépassé par lui-même
En même temps, nous ne saurions nous opposer à une mission sanitaire qui sauve des vies humaines. Et nous prenons l'avion assez souvent pour savoir que nous avons les deux statuts : pollueurs sonores et pollués. Comment ne pas souhaiter une croissance forte, qui garantisse un emploi à chaque citoyen en âge de travailler ? Mais comment faire pour que cette croissance tant désirée ne se transforme pas en cercueil de notre civilisation ? Nous vivons dans un environnement qui n'est plus à la mesure de l'homme. Des maladies apparaissent qui sont liées à la pollution, au bruit, aux déchets de toutes sortes, aux distances entre lieu de travail et lieu d'activité professionnelle ; des comportements sont altérés par le stress ; des addictions se créent qui n'existaient pas ou sévissaient moins fréquemment ; la violence des banlieues, la disparition de la courtoisie la plus élémentaire, la tension dans les relations sociales, la rage et la haine, tout cela peut être attribué au moins en partie à la course au développement.
Il y a trente ans, des experts, malheureusement utopistes, ont inventé le principe de croissance zéro. Ils ont vite compris, dès que le taux de chômage a commencé à progresser, que le pire des fléaux, le plus grave déni de justice, c'est l'absence d'emploi. Et ils ont dû déchanter.
On découvre, avec l'exemple de Chaulnes, l'ensemble du problème qui est bel et bien celui du XXIe siècle : il y a ceux qui pensent que Paris n'a pas besoin d'un troisième aéroport et que celui de Roissy peut suffire à absorber l'accroissement du trafic. Et il y a ceux qui disent que les gens qui habitent près de Roissy ne peuvent pas souffrir davantage. A noter, d'ailleurs, que, pour le moment, les transporteurs aériens sont en plein marasme. Mais ils savent que la crise est passagère et que le voyage aérien va devenir extraordinairement populaire et démocratique.
Sérénité pastorale
Les habitants de la zone de Roissy ne veulent pas entendre parler d'un développement de l'ensemble aéroportuaire ; largement prévenus, ceux de Chaulnes veulent qu'on les abandonne à leur sérénité pastorale. Comme les habitants de Strasbourg qui, naguère, s'opposaient aux vols de nuit d'un transporteur de courrier, à une époque où le chômage atteignait un taux record et où ils auraient dû considérer comme une chance la création de centaines d'emplois supplémentaires.
Comme les gens de Chamonix, qui ne veulent pas qu'on rouvre aux poids lourds le tunnel sous le Mont-Blanc, sans éprouver la moindre sollicitude pour les habitants de la vallée de la Maurienne qui, depuis l'incendie du Mont-Blanc, voient passer tout le trafic transfrontalier.
Tout le monde aime le jambon de Parme, mais personne ne veut entendre le camion qui l'apporte en France. De la même manière, tout le monde veut avoir l'électricité, pourvu que la centrale nucléaire soit construite à trois cents kilomètres de là. Tout le monde exalte la magnificence du TGV, mais personne ne souhaite habiter à côté d'une voie ferroviaire ; tout le monde roule en voiture, mais personne ne peut admettre que l'« Erika » sombre dans l'Atlantique et pollue durablement tout notre littoral occidental.
En d'autres termes, nous sommes tous concernés et aucun cas particulier, qu'il s'agisse de Chamonix ou de Chaulnes, ne doit nous être indifférent.
Rouler propre
Comme nous ne pouvons pas renoncer à la croissance, comme nous ne pouvons pas non plus accepter qu'elle signe à long terme l'arrêt de mort de la civilisation, il n'y a pas d'autre solution que d'inclure la protection de l'environnement dans la croissance. La recette n'est pas mystérieuse : par exemple, l'automobile. Nous la voulons et nous la garderons. Donc, elle doit cesser de polluer et, quel que soient les moyens adoptés pour la rendre propre, il faut en payer le prix. Il ne s'agit plus d'aller de plus en plus vite, il s'agit d'aller de plus en plus propre, soit grâce à l'ectricité, soit grâce à un carburant non polluant. On peut le faire, mais on ne fait pas, sans doute pour des raisons liées à des intérêts industriels, sans doute aussi parce que la France n'est pas seule au monde et que, si la décision de construire des voitures propres n'est pas au moins européenne, ou mieux, mondiale, le combat est perdu d'avance.
Il en va de même pour le ferroutage qui n'est pas un objectif à long terme, mais urgent, ou du transport des carburants qui doit obéir à des mesures de sécurité draconiennes, ou du chauffage qui ne doit pas être d'origine exclusivement chimique ou nucléaire mais doit tirer parti du soleil et du vent. Il faut donc créer un concept, qui serait l'éconologie, et par lequel il n'y aurait de développement économique que dans les rails de l'écologie. On voit bien que cette affaire dépasse les attributions d'un parti politique ou même d'un seul pays.
Mais la France, qui a pris du retard dans quelques domaines, dispose d'une force : son administration. Si nous n'avons pas vraiment renoncé à l'économie dirigée en dépit des appels tonitruants des libéraux, c'est parce que l'Etat français pense à tout, prévoit tout. Nous ne sommes pas les as de la vente au détail, mais nous sommes les meilleurs pour gérer et planifier. Nous sommes des champions de l'aménagement du territoire.
Pourquoi et parce que
Pourquoi ne pas en profiter ? Pourquoi ne pas concevoir une série de dispositions qui intégreraient l'écologie à l'économie, sans pour autant ignorer les lois du commerce ? Pourquoi, par exemple, ne pas imaginer de très jolies voitures qui marchent au GPL ou à un carburant analogue (qui ne risquerait pas, toutefois, de causer des explosions) ? Pourquoi ne pas commencer à bâtir dans le Midi des maisons qui tireraient leur énergie des panneaux solaires, en absorbant le surcoût par des mesures fiscales ? Pourquoi ne pas installer des éoliennes sur les côtes battues par le vent venu de l'Atlantique ou par le mistral ? Pourquoi ne pas contraindre les Français à répartir leurs déchets (verre, papier, métal, etc.) en les menaçant de lourdes amendes ? Pourquoi, s'agissant des aéroports, ne pas distinguer le frêt des passagers (et donc créer des aéroports spécifiques pour l'un et pour les autres) et les passagers en transit de ceux qui veulent vraiment se rendre à Paris ?
A chacun de ces pourquoi, il n'est pas difficile de trouver un parce que.
A l'approche des élections, on aurait aimé qu'un parti politique se définisse vraiment par rapport à ce que les Américains appellent sustenable growth, c'est-à-dire une croissance durable qui ne contient pas en elle-même les ingrédients du désastre. Nous disons bien un parti politique, pas un parti écologiste, parce que l'écologie n'est ni une idéologie, ni la chasse réservée d'un groupe, mais l'affaire de tous. Une affaire d'emplois, d'économie, de développement.
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