LE HASARD du calendrier fait parfois bien les choses : quelques heures à peine après la présentation détaillée, par Xavier Bertrand, du plan du gouvernement sur la démographie médicale (« le Quotidien » du 27 janvier), plusieurs organisations de médecins généralistes représentant aussi bien les jeunes en formation (Isnar-IMG, Snjmg) que les enseignants (Cnge), des praticiens installés (MG-France) ou encore des associations de formation (Sftg), ont évoqué ensemble, lors d’un colloque au Sénat, la «crise» de cette spécialité «à l’aube d’une catastrophe pourtant annoncée depuis vingt ans».
Les intervenants se sont succédé pour détailler, à grand renfort de chiffres et de témoignages, les ressorts de cette crise (de reconnaissance, d’abord) que confirment des faits particulièrement inquiétants : un millier de postes de médecine générale non pourvus aux nouvelles épreuves nationales classantes (ECN) pour des raisons d’ «inadéquation» et de redoublements volontaires ; un taux d’installation en libéral «à son minimum» ; des médecins généralistes libéraux qui n’hésitent plus à «dévisser» leur plaque entre 40 et 50 ans «pour faire autre chose»; et, bien sûr, une démographie en berne qui risque de conduire à des situations locales de pénurie, d’autant que la féminisation croissante conduit à des choix plus fréquents vers le salariat ou le temps partiel.
Un statut « strapontin ».
Certes, plusieurs revendications auront trouvé un début de réponse dans les mesures du plan Démographie de Xavier Bertrand, comme le soutien aux remplacements et à l’exercice en cabinet de groupe, la généralisation des maisons de santé pluridisciplinaires, l’alignement du congé maternité des femmes médecins sur celui des salariées ou encore la publicité qui sera faite sur les aides existantes (financières, fiscales...) favorisant l’installation des médecins dans les zones sous-médicalisées.
Mais, à écouter les orateurs, on devine que le blason de la médecine générale ne pourra être redoré sans la reconnaissance universitaire pleine et entière de cette discipline. Cette filière passe par la titularisation des enseignants associés, la création d’une section autonome de médecine générale au Conseil national des universités (CNU), la mise en place de postes de chef de clinique, une recherche en soins primaires et des moyens à la hauteur. «Notre statut est aujourd’hui un strapontin», résume Pierre-Louis Druais, président du Collège national des médecins généralistes enseignants (Cnge), qui rappelle les chiffres : 104 enseignants MG associés (mi-temps) et 3 500 maîtres de stage «sans statut», alors que les autres disciplines bénéficient de 6 000 enseignants titulaires. «La méconnaissance de la filière de médecine générale par les étudiants, l’absence de possibilités de carrière sont des causes majeures de la désaffection», confirme Yannick Ruelle (Isnar-IMG). «Pas de statut, pas de lieu, pas d’argent», déplore un autre intervenant.
Le médecin traitant épinglé.
Le DES de médecine générale mis en place dans le cadre de la réforme de l’internat a été une avancée insuffisante pour rendre la discipline attrayante. Selon plusieurs intervenants, la mise en place d’une filière universitaire de médecine générale (Fumga) digne de ce nom, éventuellement fondée sur des services universitaires de médecine générale ambulatoire (Sumga), se heurte au «poids des lobbies» hospitaliersqui craignent «l’explosion» du système des CHU. «Il faudrait pourtant faire le ménage!», a lancé un médecin généraliste.
Le colloque a parfois pris un tour politique. De jeunes médecins ont expliqué qu’ils redoutaient que la réforme du médecin traitant «mette en danger» l’installation de la nouvelle génération, malgré le moratoire décidé par le gouvernement (qui protège de toute pénalité les patients consultant un généraliste installé depuis moins de cinq ans).
Yassine Bouakaz, président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (Snjmg), estime que ce moratoire pour les nouveaux installés sera «voué à l’échec» sans une information massive des patients par l’assurance-maladie.
Avec une pointe d’humour noir, le Dr Jean-Luc Gallais (Société française de médecine générale) a évoqué la situation grave de la médecine générale en comparant les soins primaires à... l’amiante. «Un sujet de santé publique connu depuis des décennies, tous les responsables régulièrement informés et interpellés, l’inertie et le statu quo en France et, au total, un scandale...»
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