La création d'un comité d'alerte trouble les médecins libéraux

Publié le 16/09/2004
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RETOUR de la régulation comptable ou simple signal d'alarme ?
Prévue dans la loi de réforme de l'assurance-maladie, l'intervention d'un comité d'alerte sur l'évolution des dépenses, placé auprès de la Commission des comptes de la Sécurité sociale et chargé de prévenir les pouvoirs publics en cas de « risque sérieux » de dépassement de l'enveloppe fixée par le Parlement (un projet de décret vient de fixer ce dérapage au maximum à 0,75 % du budget voté) soulève de nombreuses interrogations dans le monde médical.
Il faut dire que le contexte extrêmement tendu du budget de l'assurance-maladie, marqué par une dégradation financière « sans précédent » (voir ci-dessous), invite les syndicats médicaux, qui connaissent la musique, à une extrême vigilance. C'est d'autant plus vrai que le gouvernement envisage de proposer au Parlement un Objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) pour 2005 particulièrement « serré ».
Selon nos informations, la croissance autorisée des dépenses l'année prochaine sera comprise entre 3,2 et 3,5 % : un taux en deçà de l'objectif de 4 % fixé pour 2004, qui devrait, comme chaque année, être allègrement dépassé (le rythme annuel dépasse 5 %). Comme le confirme le député Yves Bur (UMP, Bas Rhin), expert des finances sociales, « l'Ondam 2005 doit marquer une rupture avec le passé ». Et d'expliquer que la « non-maîtrise des dépenses pose un grave problème pour rentrer dans les clous du pacte de croissance ». Autrement dit, Bercy garde les yeux rivés sur le déficit de la branche maladie et attend que le plan Douste produise des résultats dès 2005.

Dr Costes (MG-France) : les généralistes dans les clous.
Chaque année, au plus tard le 1er juin, le comité d'alerte indépendant rendra donc un avis sur le respect de l'Ondam pour l'exercice en cours. Il analysera principalement l' « impact des mesures conventionnelles » (par exemple le rapport entre des revalorisations tarifaires et les contreparties exigées), mais tiendra compte également des « déterminants conjoncturels et structurels » des dépenses d'assurance-maladie. Autrement dit, une double épidémie de grippe qui provoquerait une suractivité des généralistes sera intégrée dans les comptes, de même que des impératifs de santé publique.
Mais si le comité décide de sonner l'alarme, les caisses nationales d'assurance-maladie disposeront d'un mois seulement pour proposer un plan précis de redressement. Une tâche qui sera exercée, au nom des trois régimes, par le nouveau patron de l'assurance-maladie, Frédéric Van Roekeghem, désormais doté de pouvoirs accrus en matière de régulation financière (action sur le taux de remboursement dans un « couloir » fixé par décret mais aussi politique du médicament et hospitalière). Le comité rendra presque aussitôt (sous quinzaine) un avis sur l'impact financier de ces mesures. Les médecins libéraux doivent-ils s'inquiéter de cette procédure qui accélère le processus de décisions en cas de dérapage ?
Instruits par le passé, les syndicats restent méfiants. Pour le Dr Pierre Costes, président de MG-France, le comité d'alerte s'apparente à un « disjoncteur » placé entre le nouveau directeur de l'Uncam, « qui de toute façon à tout pouvoir, et aura son propre système de surveillance des dépenses », et le ministre. Il souligne par avance que, sur les six premiers mois de l'année 2004, la croissance des honoraires des médecins généralistes est restée inférieure à 0,5 %. « Les généralistes, eux, sont largement dans les clous de l'Ondam, analyse-t-il. Il est donc hors de question de les stigmatiser, peu ou prou. Je le dis clairement : attention aux amalgames. »
Initialement, l'article de loi créant le comité d'alerte prévoyait une « suspension » possible des accords conventionnels entre les médecins et les caisses en cas de dérapage. Toute revalorisation des honoraires aurait alors été quasiment impossible. Philippe Douste-Blazy avait accepté de retirer ce point précis « afin de restaurer la confiance ». Mais il y a encore du chemin à parcourir. « Malgré les propos apaisants du cabinet du ministre, qui nous affirme que le comité d'alerte servira à éclairer la situation des comptes, par exemple en signalant des transferts de charge entre la ville et l'hôpital, ce nouveau machin garde de forts relents de maîtrise comptable », explique le Dr Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF). Le courrier qu'il a reçu récemment de Christian Estrosi, député (UMP) des Alpes-Maritimes (06) et très proche de Nicolas Sarkozy, ne le rassure guère. L'élu y rappelle la vocation du comité d'alerte de « redonner sa crédibilité » à un objectif « systématiquement dépassé » depuis sa création . Yves Bur (UMP) voit dans cette structure « non pas un comité de méchants », mais le signe de la volonté du gouvernement de « tenir le plan de route » dans un contexte contraignant. « C'est un ensemble de mesures qu'il convient d'apprécier : le choix de l'Ondam 2005, la convention qui devra comporter des engagements chiffrés, le comité d'alerte. En juin, il faudra savoir si on est dans les clous et si ce qui a été signé est respecté. »
Les mesures de redressement ? « Je souhaite que les outils soient suffisamment fins pour apprécier poste par poste d'éventuels dérapages : sur les génériques et les prescriptions en DCI par exemple, il y a eu des progrès, mais qui restent insuffisants par rapport aux engagements. »

La crainte du gel tarifaire.
Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), ne croit pas à un énième retour des outils de la régulation comptable, après les « reversements d'honoraires », « clause de sauvegarde» ou autres « lettres clés flottantes ». Ce serait, rappelle-t-il, « contraire à tous les engagements sur la maîtrise médicalisée que nous avons eus ». Mais, précise-t-il, « les accords conventionnels devront être respectés ». Ce qui exigera un suivi assidu et beaucoup de pédagogie.
Le relevé de conclusions du 26 août sur la mise en œuvre de Ccam technique a prévu une négociation annuelle avec les caisses sur la valeur monétaire du point travail, qui conditionne la valeur finale des actes. Cette négociation devra s'achever au plus tard le 15 juin. Nul doute que le nouveau patron de l'assurance-maladie tiendra compte, dans son bras de fer avec les syndicats, de l'avis circonstancié du comité d'alerte sur le respect de l'Ondam. « Ce qu'on peut redouter, ce n'est pas la diminution de la valeur des actes, analyse le Dr Cabrera, c'est un gel tarifaire ». Ce qui reviendrait, quoi qu'en dise le gouvernement, à une forme de bouclage financier.

> CYRILLE DUPUIS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7592