EN FRANCE, on connaît mal les airelles en général, et la cranberry en particulier. La cranberry (dite parfois canneberge en français, bien que cette dénomination soit discutée) est une grande baie rouge cousine de la myrtille et de la baie polaire consommée très largement outre-atlantique, sous forme de jus (toujours coupé d'eau et édulcoré en raison de son âpreté), de sauce (avec la dinde de Thanksgiving), de confiture ou de fruit séché. Les Iroquois qui la présentèrent aux pèlerins du « Mayflower » n'ignoraient pas ses vertus thérapeutiques. Aujourd'hui, travaux in vitro, études épidémiologiques et essais cliniques tentent de répertorier et de démontrer les bénéfices de la cranberry dans la prévention de certaines maladies. En 2004, l'Afssa reconnaît que le jus de cranberry peut bénéficier de l'allégation « contribue à diminuer la fixation de certaines bactéries E. coli sur les parois des voies urinaires ».
Un effet anti-adhésion de E. Coli.
Les principes actifs sont ses flavonoïdes, notamment les oligomères proanthocyanidiques (OPC), polyphénols particuliers, qui sont des tanins condensés, à ne pas confondre avec les anthocyanes également flavonoïdes, de structure chimique très différente, présents dans les airelles, mais aussi dans de nombreux autres végétaux. Les OPC empêchent l'adhérence des fimbriae de E. coli sur les muqueuses urinaires. Le Dr A. Howel (centre de recherche sur les cranberries et les myrtilles, États-Unis) a montré que la capacité d'inhibition de l'adhésion muqueuse de E. coli persiste dans l'urine humaine, jusqu'à 10 heures suivant l'ingestion de 240 ml de jus de cranberry. Cet effet d'antiadhésion est lié à une double liaison présente dans les OPC de type A de la cranberry, absente des OPC type B du cacao ou du raisin, par exemple.
Les dérivés de la cranberry, qui ne sont pas bactéricides, ne traitent pas les infections urinaires. Deux essais cliniques contre placebo sur un an montrent que ces produits (jus, capsules) réduisent l'incidence des infections urinaires chez des femmes à risque ; ils ne favorisent pas le phénomène de résistance bactérienne.
Les personnes âgées institutionnalisées représentent un groupe à risque jamais étudié. Un premier essai a été mené chez des sujets âgés (80 ans) hospitalisés en aigu ayant une bactériurie asymptomatique. Cet essai ne permet pas de conclure en raison de sa trop courte durée (trois semaines) et de la très faible incidence des infections urinaires, groupe placebo inclus. Il ouvre une voie de recherche et met l'accent sur l'importance de faire accepter le goût d'une boisson administrée comme une potion par une infirmière.
D'autres applications potentielles.
Les OPC peuvent exercer leur pouvoir d'antiadhésion muqueuse sur d'autres bactéries, comme Streptococcus mutans, de la bouche que seul un brossage soigneux des dents pendant 8 minutes peut évacuer. « Pari difficile à tenir au quotidien », estime le Pr E. Weiss (Israël). Un essai de six semaines montre qu'un bain de bouche à base de jus de cranberry entraîne une réduction de l'adhésion de S. mutans à la plaque dentaire et de la coagrégation aux bactéries (180 espèces !). Il n'y a pas de modification de la plaque ou de l'état des gencives. D'autres jus de fruits étudiés, excepté celui de myrtille, n'ont pas eu le même effet.
Des travaux récents montrent l'importance des phénomènes d'adhésion bactérienne dans la colonisation muqueuse de l'estomac par Helicobater pylori. Un vaste essai chinois contre placebo a évalué sur trois mois l'impact d'une consommation quotidienne de 500 ml de jus de cranberry par des sujets ayant un test respiratoire à l'urée positif. A un mois, 14,4 % (5,44 % pour le placebo) avaient un test à l'urée négatif, de même à trois mois.
Cranberry contre vin rouge.
« Par ailleurs, pour qui ne boit pas de vin rouge, un verre de jus de cranberry peut représenter une alternative (presque) équivalente en termes de bénéfice cardio-vasculaire », a estimé avec un brin de provocation le Pr R. Corder (institut de recherche William-Harvey, St Bartholomews'Hospital. Londres, Grande-Bretagne). Ce scientifique anglais, connaisseur de bons vins, s'intéresse depuis longtemps aux polyphénols du vin rouge en général, pas seulement du bordeaux ; selon lui, le vin français le plus riche en polyphénols est le madiran. Il souligne que la teneur en polyphénols d'un vin dépend notamment du cépage, du processus de vinification (concentration dans les pépins de raisin), de l'âge du vin et précise que le vieillissement du vin, qui provoque une polymérisation des tanins, entraîne une réduction de sa teneur en polyphénols.
Il est tout naturel que le Pr R. Corder se soit intéressé aux OPC de la cranberry, en comparant les effets du jus (concentré à 25 %) du fruit et de produits dérivés (comprimés) à ceux de vins rouges (merlot de Californie et cabernet sauvignon argentin) sur un modèle de cellules endothéliales dont la dysfonction représente un stade précoce de l'athérosclérose.
Le jus de cranberry agit comme le vin rouge (avec un léger avantage pour ce dernier) sur tous les paramètres vasculaires étudiés : réduction de la synthèse de l'endothéline, puissant vasoconstricteur, majoration de production de NO, action antithrombotique, effet anti-inflammatoire (qui pourrait participer au bénéfice anti-infectieux). Sur ce modèle, les OPC, flavonoïdes antioxydants, n'agissent pas en tant que tels mais comme inhibiteurs de l'expression de certaines enzymes comme la tyrosine kinase. Le Pr Corder souligne que ces bénéfices ont été observés avec le jus et le fruit, pas avec les capsules, du moins celles étudiées, trop peu dosées en OPC.
Une équipe de l'université de Laval (Québec) montre aussi que la consommation quotidienne d'un verre de jus de cranberry allégé hautement concentré (25 %) augmente le cholestérol HDL.
Symposium « Cranberry, son rôle dans la prévention de maladies », organisé par Ocean Spray.
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