PEUT-ON REMETTRE « l’hôpital dans la ville » et la « ville dans l’hôpital » pour améliorer le parcours de soins des patients chroniques, en oncologie par exemple ? Oui, mais à condition de ne pas demander l’impossible au médecin généraliste traitant et de lui donner les moyens d’assurer ce rôle pivot, ont scandé praticiens et experts lors d’une conférence à la faculté de Médecine de Lyon-Est. Il s’agissait d’analyser si le parcours de soins oncologie en région Rhône-Alpes était un modèle transposable aux maladies chroniques...
30 ans de culture hospitalière.
« Aujourd’hui on voudrait se couper de la médecine générale dans la prise en charge du cancer, on ne s’y prendrait pas mieux, déplore le Dr Yves Devaux, oncologue médical au Centre Léon Bérard de Lyon. On a développé un système qui voudrait impliquer le médecin généraliste mais qui actuellement lui signifie qu’il n’est rien ou peu de chose ». « On a passé 30 ans de vie hospitalière à l’exclure du jeu. Aujourd’hui, l’un des défis majeurs est de réimpliquer le médecin traitant », ajoute dans la même veine le Pr Franck Chauvin, président de la commission « évaluation, stratégie et prospective » du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).
L’hospitalocentrisme est-il un frein au décloisonnement et à la coordination ville/hôpital ? À l’heure où s’élabore la future stratégie nationale de santé du gouvernement privilégiant une médecine de parcours, des voix s’élèvent en tout cas chez les libéraux pour réclamer un vrai changement de paradigme (recentrage de l’hôpital sur ses missions, réallocation prioritaire des ressources vers les soins primaires pour structurer les équipes ambulatoires, favoriser la délégation de tâches et faciliter la coordination).
La clé des sorties d’établissement.
Tout n’est pas possible pour le médecin traitant en matière de prise en charge des patients lourds et chroniques. Le généraliste étant déjà « sollicité de toute part », souligne le Dr Devaux, il ne s’agit pas, par exemple, de le mettre au centre du dispositif de prise en charge du cancer hors de l’hôpital car « cette idée relève plutôt du slogan ». En revanche, impliquer davantage le médecin traitant c’est d’abord lui donner de la visibilité dans le dédale de la prise en charge des patients chroniques hors établissement. « Le médecin généraliste est d’accord pour intervenir sur le terrain à condition qu’on résolve ses problèmes pratiques en lui donnant une information utile en première ligne. C’est à l’hôpital d’être à la disposition de la médecine générale et non l’inverse ! », insiste le Dr Devaux.
Une généraliste du Rhône va dans le même sens: « Quand un patient cancéreux sort de l’hôpital, le médecin traitant doit être impliqué dès le début de la prise en charge. Il faut guider le médecin généraliste comme il faut guider le pharmacien et l’infirmière car ce n’est pas inné ».
Malades complexes, parcours complexes.
Le partage d’informations sécurisées entre la ville et l’hôpital est au cœur des enjeux. C’est d’autant plus crucial que les parcours de soins des patients s’avèrent infiniment plus complexes qu’il y a 20 ans, souligne le Pr Véronique Trillet-Lenoir, chef du service oncologie médicale Lyon-Sud et secrétaire générale du conseil national de cancérologie. « Tout l’enjeu consiste à transformer le cercle vicieux de l’hospitalocentrisme en cercle vertueux en améliorant l’organisation de la sortie de l’hôpital et la gestion des imprévus » pour ces patients cancéreux.
Fluidifier le parcours des malades chroniques, éviter les ruptures de prise en charge, favoriser l’éducation thérapeutique : autant d’objectifs affichés de la future stratégie de santé. « On connaît tous l’embolisation catastrophique des services d’urgence par des patients pris en charge à leur domicile et qui ne trouvent pas d’autres réponses en cas d’événements indésirables », illustre le Pr Trillet-Lenoir.
Lâcher du lest.
Pour cette oncologue, si les généralistes « peinent à trouver leur place dans le dispositif », c’est aussi à cause des médecins hospitaliers qui ne sont « pas encore prêts à lâcher du lest »... Entre ville et hôpital, il serait temps de « défantasmer » l’image que chacun a du rôle de l’autre, propose le Dr Devaux. « Aujourd’hui, chacun cherche à utiliser l’autre plutôt que de travailler ensemble », analyse-t-il.
Maire socialiste du troisième arrondissement lyonnais, également cancérologue, le Pr Thierry Philip a le mot de la fin sur les difficultés à construire cette coordination des soins que chacun appelle de ses vœux. « Le problème n’est pas seulement le parcours de soins en cancérologie, mais l’interface entre tous les parcours de soins, explique-t-il. Pour que les deux faces ville-hôpital s’accrochent, la clé de voûte réside dans l’amélioration des systèmes d’information entre les acteurs de la prise en charge ».
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