Chronique électorale
Malgré les inquiétudes soulevées par la percée de Jean-Marie Le Pen au premier tour, le sursaut républicain des Français, largement exprimé dans des manifestations massives, devrait permettre à Jacques Chirac de l'emporter au second tour.
De l'ampleur de sa victoire dépend partiellement ce qui se produira dans l'avenir immédiat : si le chef de l'Etat écrase M. Le Pen, il devrait, logiquement, avoir les coudées franches pour former un gouvernement. Mais ce n'est pas sûr, car il est entendu que, si M. Chirac fait l'unanimité des démocrates, la droite n'aura pas forcément son compte d'électeurs lors des législatives. Si la gauche sort affaiblie du premier tour, elle perd un peu moins de voix que la droite (3,2 % de suffrages en moins, contre 3,3 % en moins pour la droite entre 1995 et 2002), même si l'on inclut dans la droite parlementaire les suffrages recueillis par le CPNT de Jean-Saint Josse, qui s'est prononcé contre Le Pen.
Majorité introuvable ?
M. Chirac s'est interdit de pactiser avec le Front national. C'était souhaitable et même indispensable ; mais il risque de ne pas trouver de majorité parlementaire. Un nouveau gouvernement de cohabitation pourrait bien sortir des législatives, sinon le chaos que provoquerait la constitution d'un groupe parlementaire de l'extrême droite décidée à en découdre avec M. Chirac.
Non seulement il apparaît que le chef de l'Etat pourrait être privé de majorité, mais en dépit de l'extraordinaire mouvement des tous les démocrates français unis pour faire barrage à M. Le Pen, il aurait beaucoup de mal à satisfaire une majorité de citoyens sur la base des mesures qui figurent dans sa plate-forme.
D'une part, il lui manquera le souffle que confère une victoire sans nuances : un triomphe au second tour sera suivi soit d'une défaite, soit d'une victoire indécise aux législatives. D'autre part, les idées et les convictions de M. Chirac n'ont qu'un rapport très lointain avec le message que le pays lui a fait parvenir au premier tour de la présidentielle. Il n'y a pas eu, le 21 avril, qu'une poussée sans précédent de l'extrême droite (Jean-Marie Le Pen serait arrivé en tête s'il n'avait pas été concurrencé par Bruno Mégret). Il y a eu aussi une poussée de l'extrême gauche. Même s'il est impossible que les deux extrêmes se rejoignent dans une action politique commune, ils forment un front du refus : refus de l'Europe, refus d'une démocratie qui délaisse les défavorisés, refus des institutions telles qu'elles fonctionnent actuellement.
M. Chirac devra faire face à cette opposition impitoyable (qui pourrait trouver, au moins partiellement, sa traduction parlementaire). Et il devra aussi engager, sans perdre une minute, des réformes propres à satisfaire le plus grand nombre, en tout cas à apaiser les esprits échauffés par la protestation. Cela prend du temps, cela ne sera pas nécessairement conforme aux convictions du président, et cela ne va pas sans un sens aigu de la persuasion.
M. Chirac doit, pour agir, disposer d'une autorité indéniable. Un plébiscite au second tour de la présidentielle n'y suffira pas. Lieu géométrique de tous les courants démocrates, le président réélu apparaîtra, à la veille des élections législatives, comme le chef de clan qu'il n'a pas cessé d'être. Il a déjà du mal à regrouper les siens, comme en témoigne la mauvaise humeur de François Bayrou et d'Alain Madelin, noyau dur de la contestation interne au sein de la droite ; il en aura infiniment plus à trouver un soutien, affiché ou discret, dans une gauche qui n'aura de cesse de prendre sa revanche. Et il ne peut, bien sûr, rien attendre de l'extrême droite, qui lui fera payer le plus cher possible son refus de la prendre en considération.
En d'autres termes, c'est à un Chirac probablement affaibli (ou pas moins faible que pendant les cinq années écoulées) que reviendra la tâche particulièrement ardue de répondre au vu des électeurs tel qu'ils se profilent dans le scrutin du premier tour de la présidentielle : contradictoires, furieux, insatisfaits, excédés, hostiles à toute forme d'autorité, profondément divisés et capables de franchir toutes les lignes idéologiques traditionnelles pour se donner le plaisir de faire payer aux gouvernants leur laxisme, leur inefficacité, et leur ignorance de la mentalité populaire.
Facture culturelle
Les artistes qui ont évoqué la « fracture culturelle » entre créateurs ou gens cultivés, d'une part, et un peuple dont la seule source de savoir est la télévision, d'autre part, ont peut-être mis le doigt sous la vraie nature du problème qui a fait basculer la France le 21 avril. Pendant que dissertent nos idéologues, nos experts, nos économistes, nos leaders d'opinion, l'extrême droite et l'extrême gauche offrent des solutions simples ou simplificatrices qui ont justement l'attrait de ce que tout le monde peut comprendre et qu'on ne peut pas dénoncer sans paraître insulter l'intelligence des masses. Dans une époque moderne où prédomine le savoir, clé unique d'une analyse bien tempérée, des millions de personnes sont abandonnées à leur perplexité. En même temps que la communication est érigée en industrie, jamais l'incommunicabilité entre les êtres n'a été aussi grande. Bref, pour M. Chirac, c'est lundi prochain que les ennuis commenceront.
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