SOUS LES HAUTES FUTAIES séculaires du parc du Creps (Centre régional d'études physique et sportive), à Châtenay-Malabry, près de Paris, le Lndd se reconnaît de loin aux cheminées de métal qui hérissent ses bâtiments. C'est dans cet environnement bucolique et classé, dans des laboratoires climatisés lumineux, que ronronnent les équipements biotechnologiques les plus sophistiqués : chromatographes liquides ou gazeux, appareils à spectromasse de rapport isotopique, préparatoires d'échantillon, chambres froides où sont stockées à - 10 degrés les prélèvements que seuls identifient une lettre (A pour les premières analyses, B pour les éventuelles procédures de contrôle) et six chiffres.
Les opérations les plus complexes ne sont pas les plus spectaculaires. Ainsi, Françoise Lasne, la responsable du département biologie, ne supervise les tests EPO que sur un simple moniteur où apparaissent des images de bandes isoformes. Elles sont graduées de manière spécifique lorsqu'il y a eu prise d'érythropoïétine. Cinq cents tests sont réalisés de cette manière chaque année, dont une centaine pour le seul tour de France. Les recherches se poursuivent, qui devraient aboutir bientôt à un traitement mathématique des données.
La nouveauté antidopage du tour 2005.
A quelques travées, salles de pesées et de stockage de là, un groupe de jeunes techniciens s'affaire sur le dernier équipement de la maison, destiné à la détection des transfusions homologues, du sang issu d'un donneur de même groupe que le receveur, en vue d'augmenter le taux des globules rouges. Une première en France, la nouveauté antidopage du tour 2005. « C'est la technique qui a permis de confondre le champion olympique Tyler Hamilton au lendemain de sa victoire dans un contre-la-montre au tour d'Espagne », précise Jacques de Ceaurriz. Chaque année se renforce l'arsenal des contrôles. Les mailles se resserrent inexorablement. Quand il évoque cette « course de fond longue, compliquée, parfois maladroite, avec des fausses pistes », que les scientifiques livrent contre le dopage, le directeur du Lndd aime parler de « course à l'utopie ». Ce pharmacologue et universitaire qui a enseigné en faculté de pharmacie la toxicologie de l'environnement, avant d'atterrir ici, a passé quatorze ans à l'Institut national de recherche et de sécurité, à travailler sur les nuisances créées par les éthers de glycol, l'amiante et autre benzène. « C'était déjà une activité coincée entre science, technique et société, où il s'agissait de faire l'interface entre des préoccupations sociales et des utopies naissantes. Des utopies qui, dans le monde du sport, conduisent à créer de toutes pièces des mécanismes de régulation. Cela ne se fait évidemment pas du jour au lendemain, d'autant plus que le monde sportif est un extraordinaire patchwork, avec autant de fédérations internationales que de disciplines, avec 200 fédérations nationales par sport. Depuis la création de l'AMA [l'Agence mondiale antidopage, en 1999, ndlr], l'harmonisation internationale est en marche, mais tout n'est toujours pas éclairci entre pouvoirs publics et pouvoir sportif. »
Dans ce monde en mosaïque, le Lndd fait certes un peu figure de monolithe ; créé en 1966 par la loi Herzog, il a pris sa forme actuelle de laboratoire national en 1979, dans le cadre de la loi Bambuck, devenant l'une des 33 structures de dépistage homologuées au plan international pour traquer les substances interdites. Etablissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministère des Sports (en attendant de fonctionner sous l'autorité de la future Agence nationale antidopage, en application le la loi Lamour), le Lndd est un bon révélateur de l'état des mœurs sportives. « Quand j'ai été nommé en 1997 », se souvient Jacques de Ceaurriz, les lieux n'étaient guère présentables. Mais quand, quelques mois plus tard, en juillet 1998, éclata l'affaire Festina, avec la découverte d'une camionnette livrant aux coureurs anabolisants et ampoules d'EPO, la prise de conscience fut suivie d'effets : en quatre ans, le laboratoire a eu un budget multiplié par trois (4,3 millions d'euros) et des effectifs par 2,5, passant à 41 personnes (30 techniciens et agents de maîtrise, la plupart autour de la trentaine et 11 administratifs). La courbe des contrôles pratiqués est passée de 5 228 en 1997 à 7 113 en 1998, à 7 726 en 1999 et à 7 966 en 2000. Aujourd'hui, on plafonne à 9 000 analyses par an, dont 500 sont effectuées pour le compte de pays étrangers dépourvus de structures de contrôle. Des analyses classiques facturées 275 euros l'unité, auquel s'ajoute, s'il y a lieu, un supplément recherche d'EPO de 245 euros. Le délai de réponse passe en ce cas de 48 à 72 heures.
Performances améliorées.
Dans le planning du Lndd, le programme tour de France, avec ses 150 prélèvements, « ne saurait constituer notre vitrine », note Jacques de Ceaurriz, qui doit tout de même mettre en place un système de garde du week-end durant toute la période de la Grande Boucle.
« De manière générale, dès qu'un progrès scientifique et technique le permet, assure-t-il, nous améliorons nos performances. Ce fut le cas en 2000 avec la détection de l'EPO, il y a un an et demi avec l'acheminement congelé des échantillons, alors que le transport à température ambiante constituait auparavant un point de faiblesse, compte tenu de la fragilité du milieu biologique. Cette année, en plus de la détection des transfusions homologues, nous aurions annoncé la recherche de l'hormone de croissance, un test validé scientifiquement et techniquement depuis les jeux Olympiques d'Athènes, si le manque d'anticorps en quantité suffisante ne nous avait contraints à en reporter la mise en œuvre. Cela dit, les fraudeurs ont intérêt à être sur leur garde, puisque nous gardons les échantillons trois mois après la compétition, ce qui permet des contrôles a posteriori . »
Bien sûr, des sujets qui fâchent demeurent. En tête, comme d'habitude, les polémiques autour des corticostéroïdes font rage. L'AMA a donné instruction à ses laboratoires de ne pas considérer comme positifs des échantillons avec une concentration inférieure à 30 ng/ml, suscitant la critique du président du Comité international olympique (CIO), Jacques Rogge. Le Cpld (Conseil de prévention et de lutte contre le dopage) n'hésite pas à dénoncer une « quasi-légalisation » d'agents dopants interdits.
« Que voulez-vous, soupire Jacques de Ceaurriz, ce seuil, arbitraire comme tous les seuils, est en fait la conséquence de la disparité de sensibilités intervenue entre les différents outils de spectrographie après la révolution technologique de 1998-1999. C'est ainsi que cheminent les scientifiques : ils sont tributaires des cahots technologiques, ils tâtonnent, peuvent paraître maladroits, obligés qu'ils sont à faire des contorsions dans un milieu biologique de plus en plus complexe. Si vous regardez l'histoire, vous constatez que nous passons notre temps à nous remettre sur les rails, à inventer de nouveaux outils : après la guerre, lors de l'utilisation desxénobiotiques, nous avons mis au point un arsenal de détection fiable. Puis sont arrivés les dopages à partir des hormones stéroïdiennes, avec la testostérone, la Dhea et leurs précurseurs. Et il a fallu trouver de nouvelles techniques pour faire la différenciation entre substances endogènes et exogènes. L'étape suivante nous a confrontés à l'irruption des hormones recombinantes (EPO), avec de nouveaux challenges pour mettre au point des outils capables de détecter de simples traces dans l'organisme. Et maintenant, vous avez tout ce qui nous est promis avec la thérapie cellulaire génique, les fameuses souris Schwartzeneger, etc. C'est un chapitre encore vierge de la lutte antidopage, qui relance de nouvelles utopies. Et encore de nouveaux outils à inventer. La tenaille capable d'arracher toutes les sortes de clous n'existe pas... »
Le patron du Lndd ne cache pas sa « perplexité » devant les scénarios catastrophes échafaudés par certains scientifiques, qui prédisent la fabrication prochaine de monstres sportifs. L'ambiance, au Lndd, avec les jeunes techniciens qui s'affairent dans un décor qui pourrait être celui d'un film de science-fiction, est sereine. Rien à voir avec la tension d'un film catastrophe.
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