SI NUL NE DOUTE que les cellules souches totipotentes ont un grand avenir en médecine, la manière de les obtenir fait encore débat. Deux stratégies s'opposent : le clonage thérapeutique et la reprogrammation de cellules somatiques adultes.
En novembre dernier, la méthode de la reprogrammation a pris un sérieux avantage sur sa concurrente. Si les deux approches avaient fait leurs preuves dans des modèles animaux, la reprogrammation devenait la première à fonctionner dans des cellules humaines (voir « le Quotidien » du 23 novembre 2007). Ian Wilmut, le chercheur à l'origine de la naissance de la brebis Dolly avait alors annoncé qu'il renonçait à poursuivre ses travaux sur le clonage thérapeutique. Les recherches relatives à la production d'embryons humains par transfert nucléaire semblaient sur le point de tomber en désuétude. Pourtant, une équipe américaine venait de réussir à adapter la méthode au cas d'un primate, le macaque (voir « le Quotidien » du 16 novembre 2007).
Mais cette semaine, une étude publiée par une équipe californienne a relancé le débat : French et coll. seraient en effet parvenus à produire des embryons humains par clonage thérapeutique (voir « le Quotidien » du 22 janvier).
Avantage à la reprogrammation pour la thérapie.
Pour le Dr Alain Privat, neurobiologiste spécialiste des cellules souches, directeur de recherche à l'institut de neurosciences de Montpellier, les travaux de French et coll. démontrent que l'obtention d'embryons humains par transfert nucléaire est « faisable ». «Mais de là à dire que la technique est maîtrisée, il y a un pas énorme. Ces travaux constituent une avancée significative; cependant, le clonage thérapeutique chez l'humain reste encore une technique d'exception. Si la publication californienne paraît sérieuse et solide, elle ne permet pas de savoir combien d'essais infructueux ont été nécessaires à la production de ces embryons», explique-t-il. En somme, si la possibilité de recourir au clonage pour obtenir des cellules thérapeutiques humaines n'a jamais été aussi concrète, elle reste encore incertaine. «Actuellement, la piste la plus sérieuse en termes de stratégies thérapeutiques reste celle des cellules adultes reprogrammées. C'est probablement celle qui émergera en premier», poursuit le chercheur.
Le clonage, un outil utile à la recherche.
La reprogrammation de cellules adultes en cellules indifférenciées totipotentes nécessite pour l'instant des manipulations génétiques réalisées à l'aide de rétrovirus. Ces modifications étant potentiellement oncogènes, la technique devra être améliorée avant qu'il ne soit possible de l'utiliser pour produire des cellules thérapeutiques. Et, pour y parvenir, les chercheurs devront acquérir une meilleure connaissance de la biologie des cellules souches embryonnaires. «La recherche sur les cellules souches de l'embryon reste indispensable. C'est encore aujourd'hui la voie royale», souligne le Dr John de Vos de l'institut de recherche en biothérapie (Montpellier). «Sans cellules souches embryonnaires, il n'aurait pas été possible d'aboutir à la mise au point des protocoles de reprogrammation des fibroblastes humains. (…) L'avenir de la thérapie cellulaire est certainement dans la reprogrammation des cellules adultes, mais l'avenir de cette technique dépend elle-même des recherches sur l'embryon.» En d'autres termes, il est possible que le clonage thérapeutique n'ait pas d'avenir en thérapie, mais il pourrait devenir un outil de recherche particulièrement utile à la mise au point de stratégies alternatives de production de cellules pour la médecine régénérative. Il n'est donc pas souhaitable que les recherches relatives au clonage thérapeutique soient abandonnées.
La course à la cellule thérapeutique idéale va donc se poursuivre. Les deux approches sont amenées à évoluer et, à la vitesse où vont les choses, on peut imaginer qu'elles deviendront rapidement toutes deux performantes. Cependant, en se dispensant de l'utilisation d'ovocytes et de la production d'embryons, une technique telle que celle de la reprogrammation des cellules adultes a de grande chance de conserver l'avantage.
Des Français font le pari de la reprogrammation
A l'institut de recherche en biothérapie de Montpellier, John de Vos et son équipe sont sur le point de démarrer un projet de recherche sur la reprogrammation des fibroblastes humains en cellules totipotentes.
Conduit en collaboration avec l'équipe de Jean-Marc Lemaître (institut de génomique fonctionnelle, Montpellier) et celle de Sylvain Lehmann (institut de génétique humaine, Montpellier), ce projet vise à reproduire, puis à améliorer, les résultats déjà obtenus au Japon et aux Etats-Unis.
A terme, les chercheurs espèrent parvenir à mettre au point un protocole de reprogrammation se dispensant de l'utilisation de rétrovirus. L'idée est d'induire l'expression des gènes nécessaires à la « dédifférenciation » des cellules adultes sans modifier leur génome, en utilisant de petites molécules ou des facteurs de croissance.
Les chercheurs montpelliérains vont en outre tenter d'utiliser la reprogrammation cellulaire pour rajeunir des cellules vieillissantes. Cette approche pourrait conduire au développement d'une nouvelle stratégie thérapeutique de la sénescence cellulaire et des pathologies qui lui sont associées.
Ce projet a reçu un financement de l'Agence nationale de la recherche.
Les deux stratégies, en bref
Le clonage thérapeutique consiste en la production d'un embryon génétiquement identique au patient à traiter à partir duquel il est possible de dériver des cellules souches embryonnaires totipotentes. Cet embryon est produit en remplaçant le noyau d'un ovocyte obtenu d'une donneuse par le noyau d'une cellule somatique du patient.
La reprogrammation est une technique qui permet d'induire la « dédifférenciation » d'une cellule somatique adulte. En induisant l'expression de certains gènes dans une cellule adulte, il est en effet possible de la reprogrammer pour qu'elle retrouve un état de totipotence similaire à celui d'une cellule souche embryonnaire.
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