LE RÉQUISITOIRE de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale est devenu un rituel à la mi-septembre. Mais les médecins se souviendront sans doute du rapport 2007 de la juridiction financière qui fête son bicentenaire. Ses critiques se sont focalisées cette année sur le contenu de la politique conventionnelle, la démographie médicale, les revenus des médecins libéraux et leur nomenclature technique.
Le trop-plein de la convention
Les magistrats de la rue Cambon recommandent notamment de «recentrer les négociations conventionnelles entre l'assurance-maladie et les syndicats de médecins sur leur objet initial de tarifs et de revenus». En 2003 déjà, la Cour des comptes avait souligné que le champ des conventions passées entre les caisses et les professions de santé libérales était trop étendu. Elle était revenue à la charge en septembre 2005 contre la politique conventionnelle, accusée alors d'avoir versé aux praticiens «2milliards d'euros d'incitations financières sur 8ans» sans obtenir de changements de pratiques notables.
Dans la même veine, le rapport 2007 de la Cour des comptes est aussi cinglant. En traitant de l'organisation des soins, les accords conventionnels présentent «le risque de subordonner cette organisation aux objectifs d'optimisation des revenus, ainsi qu'à des positionnements d'appareils syndicaux», écrit la Cour. Celle-ci estime en effet que «les questions touchant notamment aux droits des malades, à l'accès aux soins et à la permanence des soins doivent rester de la compétence principale de l'Etat», et cela «en association avec tous les partenaires concernés». Et, ajoute-t-elle, c'est justement la confusion des genres qui conduit à des «ingérences politiques» dans les négociations des partenaires conventionnels, davantage responsabilisés depuis la loi du 13 août 2004.
Les revenus des médecins libéraux mis à l'index
Jamais deux sans trois. Après le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, l'Inspection générale des Affaires sociales (Igas), la Cour des comptes livre le troisième rapport de l'année qui pointe l'évolution des revenus des médecins libéraux. La hausse de leur pouvoir d'achat (+ 1,8 % par an entre 2000 et 2004 pour les omnipraticiens et + 3,3 % pour les spécialistes) «est bien plus favorable que celle qu'ont connue les salariés des secteurs privé et public», a souligné l'ancien ministre des Affaires sociales. Quant aux dépassements d'honoraires, a-t-il ironisé, ils sont chez les chirurgiens «assez loin du tact et de la mesure prescrits par le code de déontologie». Le rapport dénonce l'existence d'un «monopole de fait» des médecins en honoraires libres dans certains endroits (en chirurgie urologique, un tel monopole concerne «27 départements correspondant à 20% de la population française»). Il faut, selon la Cour, «réexaminer» les dépassements autorisés (DA)chez certains spécialistes du secteur I (consultés hors parcours de soins), au motif que le dispositif «engendre une grande part de la complexité de la tarification du parcours de soins coordonné». Le premier président de la Cour des comptes reproche d'ailleurs à la convention de 2005 d'avoir donné naissance à «un maquis tarifaire illisible par l'assuré».
Pour les médecins généralistes, le rapport invite à «une réflexion sur l'articulation du paiement à l'acte et du paiement au forfait».
A l'heure où la négociation sur le secteur optionnel est en suspens, la Cour demande aussi la mise à disposition «le plus rapidement possible d'une connaissance fine des revenus des médecins libéraux entre le secteur I et le secteur II», ainsi qu'une «analyse financière des sociétés d'exercice libéral» (SEL).
Plaidoyer pour la Ccam originelle
Dans son chapitre consacré aux revenus médicaux, la Cour des comptes fait un point sur le versant technique de la Classification commune des actes médicaux (Ccam), entré en vigueur en 2005 après avoir été remanié pour des raisons politiques. La Ccam technique, censée actualiser la hiérarchisation des actes techniques en fonction de l'effort médical et des charges, a rempli son objectif de transparence grâce au codage des quelque 7 000 actes ou procédures. «En revanche, fait remarquer la Cour, l'objectif de rééquilibrage entre les différentes disciplines n'a été que très partiellement atteint à ce jour et celui de neutralité financière dans la mise en place de cette nouvelle classification a été abandonné». Elle propose donc un retour à cet équilibre global entre spécialités gagnantes et spécialités perdantes, «en programmant des baisses de tarif, en particulier pour les radiologues» (déjà mis à contribution dans le récent plan de redressement de la branche maladie).
Mesures à l'installation coercitives
«La Cour récuse pour sa part toute idée de pénurie globale des médecins, actuelle et pour un avenir proche, a martelé Philippe Séguin. Le vrai problème est la mauvaise répartition des médecins entre spécialités et entre territoires». Le constat des magistrats de la rue Cambon est partagé parfois par d'autres experts, mais la méthode préconisée est radicale : ils réclament la mise en place de «mécanismes de pénalisation financière complétant les dispositifs incitatifs existants afin de mieux répartir l'offre sur le territoire et de préserver l'égal accès aux soins». La Cour suggère également aux pouvoirs publics de «réduire le nombre d'instances chargées des questions de démographie médicale» et de «poursuivre les transferts de compétence entre professionnels de santé».
Les comptes flous de l'hôpital
Philippe Séguin a déploré qu'à l'hôpital, «pour des raisons de contrainte budgétaire, le respect des principes comptables est très inégal», au vu des résultats d'une enquête menée par les chambres régionales des comptes auprès de 69 hôpitaux. Pour remédier aux déficits ou excédents «dissimulés», il convient donc, selon la Cour, de développer la comptabilité analytique et d' «évaluer dès 2008 les effets de la réforme budgétaire de 2006 sur les pratiques comptables et la sincérité des comptes hospitaliers».
Une politique du médicament à renforce
Sujet de prédilection de la Cour des comptes depuis plusieurs années, les médicaments n'ont pas été oubliés. La haute juridiction financière souhaite voir «aboutir la réforme des critères d'admission au remboursement» et une révision «plus régulière» de la liste des spécialités remboursables, en fonction de «critères médico-économiques dans les deux cas». Elle suggère au gouvernement d' «élaborer une base de données publique sur le médicament offrant une information exhaustive, indépendante, actualisée et d'accès gratuit». Pour l'hôpital, le rapport est favorable à une réduction du nombre de spécialités référencées et défend l'idée d'une «régulation prix-volume de la dépense en médicaments coûteux».
Pilotage renforcé pour les systèmes d'information en santé
Enfin, en attendant le rapport qu'elle prépare sur le chantier du dossier médical personnel (DMP), la Cour veut «un pilotage stratégique renforcé par la tutelle» et une réduction du nombre d'opérateurs de systèmes d'information en santé. Elle invite aussi les pouvoirs publics à favoriser «sans tarder» l'interopérabilité entre les différents systèmes.
C'est d'ailleurs sans doute le seul point du rapport qui aura l'heur de plaire aux médecins...
Un déficit toujours élevé
Le rapport revient sur le dernier exercice clos des comptes de la Sécurité sociale, celui de 2006. Dans la branche maladie, l'Ondam 2006 (objectif de dépenses) a été dépassé de 1,2 milliard d'euros, bien que la progression des dépenses ait été pour une fois moins soutenue que celle du PIB en valeur. Face à un déficit toujours élevé (surtout en cumulé), la cour a étudié les moyens d'augmenter les recettes à l'avenir. A cet égard, elle propose un élargissement de l'assiette des cotisations sociales à d'autres revenus du travail exonérés jusqu'à présent, comme la plus-value d'acquisition des stock-options (qui pourrait rapporter jusqu'à «3milliards d'euros» de recettes) ou les indemnités de départ à la retraite ou de licenciement (4 milliards d'euros).
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