T ROIS mois après l'annonce, en juin 2001, d'un vaste plan de maîtrise des dépenses de médicaments fondé notamment sur des baisses de prix, Elisabeth Guigou découvrira sans doute avec intérêt le chapitre VII du rapport 2001 de la Cour des comptes.
Consacré aux « dépenses de médicaments en ville », ce document incisif, que s'est procuré « le Quotidien », dresse un bilan édifiant de la politique du médicament conduite depuis 1998, dont les mesures, estiment les magistrats, « n'ont eu à ce jour qu'un faible impact sur les dépenses » et ce malgré des objectif s « ambitieux ». En 2000, les ventes de médicaments remboursables ont subi, rappelons-le, une nouvelle accélération (+ 8,9 %, après une hausse de 6,6 % en 1999 et de 4,5 % en 1998), et les remboursements ont progressé encore plus vite (+ 11,9 % pour le régime général, l'année dernière).
Premier échec dénoncé : la régulation financière par le système conventionnel. Selon la Cour des comptes, la signature de conventions entre la quasi-totalité des laboratoires et l'Etat prévoyant des remises négociées en fin d'année en cas de dépassement des objectifs et permettant aux industriels d'échapper à de plus lourdes pénalités « n'a pas freiné les dépenses ».
Les limites des conventions
Plusieurs raisons sont avancées. Pour les magistrats, « les médicaments responsables des plus forts hausses sont paradoxalement les moins pénalisés », « la remise ne joue que pour l'année considérée » ou, encore plus grave, « les remises incitent paradoxalement l'industrie à augmenter les ventes, car le taux de prélèvement marginal diminue avec la croissance des ventes ».
En clair, l'Etat pousse (sans le vouloir) à la course aux volumes. Au final, résume la Cour, « les remises ne sont pas un mécanisme de régulation ».
S'agissant des médicaments génériques, autre source d'économies potentielles, puisqu'ils sont de 20 à 30 % moins chers, les résultats obtenus ne sont guère reluisants. En France, ces copies de molécules tombées dans le domaine public sont passées de 1,8 % du marché des médicaments en 1998 à... 2,4 % au début de 2001 Malgré les mesures réalisées (achèvement du répertoire des génériques, contrôle de leur qualité, droit de substitution, incitations diverses), « l'objectif de doublement de la part de marché des génériques n'a pas été atteint ». Or, observe la Cour, contrairement au discours ambiant selon lequel les personnes âgées et les malades chroniques seraient très réticents au changement d'habitudes, donc aux génériques, « aucune étude directe ne semble avoir été faite sur le comportement des consommateurs ».
L'Etat n'est d'ailleurs pas l'unique responsable de l'échec des génériques dans notre pays. Le rapport note que l'intérêt financier des laboratoires non spécialisés dans les génériques est de freiner leur arrivée, y compris en lançant une « variante » (nouveau dosage, forme galénique différente) lorsqu'un produit devient substituable. Selon la Cour, par exemple, « un laboratoire produisant un hypolipidémiant connu a développé, dès son inscription dans le répertoire des génériques, une nouvelle présentation, pour laquelle il a obtenu une AMM par bioéquivalence et a bénéficié du même prix, sans qu'il soit inscrit au répertoire ».
Le rapport souligne le « peu d'effets », en tout cas jusqu'à cette année, de la réévaluation du service médical rendu (SMR) des médicaments, processus pourtant annoncé dès février 1998. Certes, entre 1998 et 2001, le SMR de près de 4 500 produits a bien été réexaminé (18,6 % ont un SMR « insuffisant » et 18,7 %, un SMR « faible ou modéré »). Mais, constate la Cour des comptes, « les conséquences tirées de cette réévaluation ont été nulles en 1999 et faibles en 2000 : baisse du taux de remboursement de 65 % à 35 % des vasodilatateurs et baisse de prix de 7 % en moyenne des médicaments à SMR insuffisant ».
Autrement dit, si le processus de vérification de l'intérêt des médicaments a bien été enclenché, le gouvernement en a tiré des leçons beaucoup trop timides. « Les annonces du 11 juin 2001 prévoient de nouvelles baisses de prix mais pas de déremboursements », ajoutent, perplexes, les magistrats.
D'une manière plus générale, la Cour regrette que la politique du médicament menée depuis trois ans n'ait aucunement porté sur les « utilisateurs », que sont à la fois les médecins qui prescrivent et les patients. Ainsi, l'axe visant à garantir le bon usage du médicament n'a pas, selon le rapport, été appliqué. Quant à la responsabilisation des prescripteurs, qui était pourtant au cur du plan médicament de 1998, « aucune mesure n'a été prise en ce sens ». Au total, affirme le rapport, seulement quatre des vingt-cinq mesures annoncées dès 1998 ont été appliquées ou ont reçu un début de mise en uvre... Interrogés par « le Quotidien », des représentants de l'industrie pharmaceutique déplorent que « le rapport envisage le médicament uniquement comme un coût et ne le considère à aucun moment comme un investissement en santé évitant d'autres types de dépenses souvent coûteuses ».
Les remèdes préconisés
Réviser les prix plus souvent
Le rapport propose d'accorder une place plus importante à la « variation » des prix des produits plutôt qu'à un système de remises en fin d'année. Il suggère un réexamen fréquent des prix « en fonction de l'arrivée de nouvelles molécules, de l'élargissement des indications et de la progression des volumes vendus ».
Cibler les médicaments coûteux
La cour préconise une réflexion sur l'efficience des médicaments et classes les plus chères, c'est-à-dire « le rapport entre leur coût et leur efficacité, la réévaluation du SMR n'ayant en réalité porté que sur l'aspect de l'efficacité, et n'ayant donc pas eu de portée pour ces médicaments innovants ».
Réévaluation du SMR : aller plus loin
Le rapport prône une « réévaluation périodique obligatoire » du SMR par classe ou par catégorie de médicaments à même visée thérapeutique. Et il recommande de donner « des suites effectives » à cet exercice.
AMM : une évaluation en amont et en aval
La Cour souhaite instaurer une double évaluation pré et post-AMM pour mieux maîtriser la procédure du médicament. En amont, l'évaluation contribuerait à définir les études et essais à mener. Actuellement, observe le rapport, « l'AMM repose entièrement sur les informations des laboratoires (...) ». Quant à l'évaluation post-AMM, elle serait « périodique », au vu des conditions réelles d'utilisation des médicaments.
Une FMC plus objective
Le rapport estime que la formation et l'information des prescripteurs est trop dépendante de l'industrie, notamment en raison du réseau de 20 000 visiteurs médicaux. Il encourage le gouvernement à développer la formation initiale et continue sur la prescription ainsi qu'une information objective sur le bon usage du médicament.
Par ailleurs, deux mesures souhaitées par les magistrats ont été annoncées en juin dernier par Elisabeth Guigou. Il s'agit de la publication mensuelle et sans délai du répertoire des génériques et de l'autorisation de prescription en DCI.
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