«LE DEPISTAGE des nouveau-nés atteints d'une atrésie des voies biliaires constitue un des objectifs majeurs des hépatologues pédiatres, explique au “Quotidien” le Pr Emmanuel Jacquemin*. Bien que rare, avec un enfant atteint sur 15000naissances, cette affection fournit 50% des indications de transplantation hépatique chez l'enfant.» Un motif de préoccupation parce qu'un diagnostic posé précocement, au mieux avant l'âge de 30 jours, permet d'intervenir chirurgicalement et, dans un grand nombre de cas, d'éviter la transplantation.
Plusieurs études montrent que la chirurgie, par l'intervention de Kasai, est souvent réalisée trop tard. «Ce retard s'explique en grande partie par la méconnaissance de la valeur d'un signe d'alerte: la présence de selles décolorées», poursuit le Pr Jacquemin. C'est ainsi qu'est née la proposition d'un dépistage simple reposant sur une échelle colorimétrique. Il s'agit de confronter la couleur des selles ou du méconium du nouveau-né à celle d'une gamme colorimétrique (fig. 1).
En pratique, chez tout nouveau-né porteur d'un ictère néonatal, et si cet ictère persiste ou apparaît après dix jours de vie, une origine cholestatique doit être évoquée. Elle est confirmée cliniquement par la décoloration des selles. «Ce signe d'alerte doit être recherché dès la maternité, par le pédiatre, et ensuite par le médecin qui suit l'enfant, en cas de persistance de l'ictère au-delà du 10e jour de vie et jusqu'à la fin du premier mois.»
Si les selles se rapprochent des tons blanc-gris mastic (ton 1), jaune pâle (ton 2) ou beige (ton 3) de l'échelle colorimétrique, la cholestase est probable, en relation avec une vraisemblable atrésie des voies biliaires, selon un argument de fréquence.
«En cas de doute, l'enfant doit être systématiquement orienté vers une équipe médico-chirurgicale expérimentée, insiste le Pr Jacquemin. Quels que soient l'âge et le poids, une injection parentérale de 10mg de vitamineK doit être réalisée pour prévenir les complications hémorragiques.»
L'âge au moment de l'intervention de Kasai.
Si plusieurs facteurs pronostiques de l'atrésie des voies biliaires ont été identifiés ces dernières années, l'âge au moment de l'intervention de Kasai est important. «Des études menées en France montrent que plus l'enfant est opéré précocement, meilleur est le pronostic.» Selon les travaux d'équipes internationales, il apparaît que 80 % des nouveau-nés opérés avant l'âge de 45 jours sont en vie sans ictère à l'âge de 3 ans. Ce pourcentage diminue, pour tomber à zéro après l'âge de 4 mois. Une étude multicentrique nationale montre que 51 % des bébés opérés avant le 45e jour sont en vie, avec leur foie natif, à 4 ans, contre 39 % de ceux opérés après ce délai. Enfin, 28 % de ceux opérés avant le 90e jour sont en vie et conservent leur propre foie à l'âge de 20 ans, contre 13 % de ceux opérés au-delà de ce seuil.
Le traitement actuel de cette cholangiopathie obstructive est séquentiel. Pendant la période néonatale, l'intervention de Kasai est destinée à restaurer le flux biliaire et à prévenir ou ralentir la progression de l'affection. Secondairement, une transplantation hépatique est programmée, si l'ictère persiste après l'intervention chirurgicale ou quand surviennent des complications de la cirrhose biliaire.
«Quand on se rappelle que le nombre de donneurs d'organes diminue, insiste le Pr Jacquemin, que la transplantation hépatique s'accompagne d'un taux de mortalité de 10%, qu'elle requiert un traitement immunosuppresseur à vie et qu'elle constitue une lourde charge en dépenses de santé, il apparaît essentiel que le diagnostic d'atrésie des voies biliaires soit fait avant le 30ejour de vie, pour que le plus grand nombre d'enfants atteints puisse bénéficier de l'intervention de Kasai et échapper à la transplantation hépatique. »
* Service d'hépatologie pédiatrique et centre de référence de l'atrésie des voies biliaires, CHU Bicêtre (le Kremlin-Bicêtre), Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature