L'hôpital s'agite. Et il s'agite comme il ne l'avait pas fait depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.
Ses syndicats de médecins et de personnels, presque tous réunis pour l'occasion (1), viennent de mettre le gouvernement au pied du mur. Négociez avec nous l'avenir de l'hôpital ou bien nous descendrons dans la rue, lui disent-ils en substance (voir « le Quotidien » du 10 novembre). Et ce n'est pas une menace en l'air. Dans une lettre envoyée aux présidents de toutes les organisations qui le composent, l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers) dénonce « la désinvolture » avec laquelle le gouvernement traite les demandes des médecins de l'hôpital et commence à mobiliser ses troupes . Visiblement inquiet, le ministère de la Santé a lâché un peu de lest en annonçant mercredi des concertations bipartites sur le statut des médecins et des directeurs.
Les grands patrons sortent du bois
De leur côté, les chefs de service de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) signent en cascade une missive de mise en garde adressée au ministre. Il est arrivé souvent que les grands patrons de l'AP-HP sortent de leur réserve pour secouer leur tutelle (au printemps 2001, une soixantaine d'entre eux s'inquiétaient de la situation des urgences et de l'accueil des personnes âgées ; durant l'été 2000, 150 s'indignaient contre les restrictions budgétaires...), mais la déferlante de signatures que provoque le texte envoyé le 16 octobre à Jean-François Mattei est symptomatique d'un malaise profond : au départ, ils étaient 58 chefs de service mécontents à interpeller le ministre ; aujourd'hui, ils sont plus de 180. Que disent ces médecins en colère ? Qu'ils veulent attirer l'attention du ministre « sur l'acuité de la crise hospitalière qu'ils vivent quotidiennement ». « Vous connaissez parfaitement, poursuivent-ils, les deux raisons immédiates de cette crise : d'une part, le manque d'infirmières, d'autre part, le manque de médecins, conséquence d'un numerus clausus excessif. » Focalisés sur la question des effectifs médicaux, les chefs de service de l'AP-HP estiment que « l'atténuation du numerus clausus ne permet pas de répondre à l'urgence de la situation caractérisée par une diminution du nombre d'internes de 50 % depuis cinq ans. Cette réduction massive a entraîné une détérioration des conditions de travail et de formation des internes de spécialités ; le fonctionnement des services lui-même s'en trouve altéré ».
Sans condamner en bloc la politique du gouvernement, les médecins signataires déplorent ses insuffisances, estimant que « des efforts sélectifs pour certaines spécialités (anesthésie-réanimation, pédiatrie, gynécologie-obstétrique), un plan de financement pour l'équipement et la modernisation des hôpitaux et des projets de restructuration à moyen et long terme, aussi nécessaires soient-ils, ne permettront pas de répondre à la pénurie aiguë de personnel médical ».
Le Pr André Grimaldi a fait partie des premiers signataires de cette lettre. Il explique ainsi ses motivations et celles de ses confrères : « Nous vivons quelque chose que nous sentons aigu. Il arrive que de très grands services de l'AP-HP se retrouvent sans internes. Si cela se produit pour la médecine interne de Cochin, imaginons ce qui peut se passer à l'hôpital de Corbeil... Pour répondre à ces difficultés, il faudrait une volonté. Or, que trouvons-nous en face ? Un discours lénifiant, d'adaptation, d'autant plus triste qu'il est écrit par un médecin. »
Tout en reconnaissant que la vie de l'hôpital public n'est pas, actuellement, un long fleuve tranquille - notamment à cause de ses « problèmes financiers » et de ses « difficultés de recrutement » -, le délégué général de la FHF (Fédération hospitalière de France, qui représente l'ensemble des hôpitaux publics), Gérard Vincent, ne partage pas tous les points de vue qui sont exprimés actuellement. Il n'accepte pas, en particulier, les demandes de négociation formulées par les syndicats de médecins et de personnels : « Il est normal que les syndicats s'occupent de statuts, de formation. Mais en matière de gouvernance, il n'y a pas de raison qu'ils soient autour de la table. » Volontiers offensif, Gérard Vincent ne ménage pas les représentants des médecins. Oui, explique-t-il, l'hôpital est en mauvaise posture parce qu'il manque de ressources médicales, mais « la faute à qui ? La réduction du temps de travail, la directive européenne, les médecins s'y accrochent. Or une grande partie des problèmes actuels de l'institution vient de là ».
(1) La CFDT, l'UNSA et le SNCH manquent à l'appel.
Vifs échanges autour d'un siège virtuel
Depuis l'installation, le 13 octobre, du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, qui doit préparer le terrain avant Noël pour la future réforme du système, les syndicats de médecins hospitaliers, qui n'y sont pas représentés, ne décolèrent pas.
Pourquoi, s'étonnent-ils, ne siègent-ils pas dans cette instance, qui compte déjà 53 membres, dont deux représentants des syndicats de médecins libéraux ?
Pour appuyer leur demande de représentation, ils ont fait intervenir, auprès du ministre de la Santé, le député (UMP) des Deux-Sèvres, Dominique Paillé. En vain. La présidente de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), le Dr Rachel Bocher, qui a, elle aussi, écrit au ministre pour lui faire part de son indignation, a reçu de Jean-François Mattei une fin de non-recevoir. Les 53 membres du Haut Conseil sont « globalement représentatifs de l'ensemble des acteurs du système d'assurance-maladie, le secteur hospitalier public étant représenté par la Fédération hospitalière de France ainsi que par les présidents de deux des conférences des présidents de CME », explique le ministre. Plus tard, au cours de la préparation de la réforme, il « veillera » à ce que les syndicats de médecins hospitaliers soient « consultés sur les sujets éventuels pouvant concerner l'hôpital ». Mais ce n'est pas là que ça se passe pour les hospitaliers : « Comme vous le savez, leur dit le ministre, le cur de la réforme hospitalière est traité par ailleurs, dans le cadre du plan Hôpital 2007 ». Cette réponse fait voir rouge au Dr Bocher. La présidente de l'INPH parle de « provocation » et constate, dans une nouvelle lettre à Jean-François Mattei : « Le manque de confiance semble durablement installé, ce qui n'est pas très bon signe pour votre projet de plan Hôpital 2007. »
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