PRATIQUE
I. CARACTERISER L'ICTERE
1. L'interrogatoire recherche :
a) le mode de début :
- avec ou sans prurit,
- avec ou sans douleur,
- avec ou sans fièvre,
- avec ou sans prodrome (syndrome pseudo-grippal), etc. ;
b) le mode de vie :
- consommation d'alcool,
- consommation de médicaments,
- toxicomanie... ;
c) les antécédents :
- maladie lithiasique,
- maladie néoplasique,
- transfusions ou autres risques nosocomiaux,
- voyage(s) dans les pays d'endémie pour les hépatites...,
- antécédents familiaux particuliers.
2. L'examen clinique :
a) la palpation du foie peut trouver :
- une hépatomégalie mousse évoquant un foie de cholestase,
- une hépatomégalie ferme évoquant un foie de cirrhose,
- une hépatomégalie dure évoquant un foie tumoral ;
b) la palpation de la vésicule :
- est-elle douloureuse ?
- est-elle tendue, évoquant la « loi de Courvoisier et Terrier » ?
c) Les signes d'hypertension portale ou d'insuffisance hépatocellulaire sont recherchés :
- angiomes stellaires,
- circulation veineuse collatérale,
- érythrose palmo-plantaire,
- ascite et dèmes des membres inférieurs.
3. Examens paracliniques
a) On prescrira en première intention :
- une numération formule sanguine,
- un dosage de la bilirubine libre et conjuguée,
- une activité sérique des transaminases,
- le dosage sérique de la gamma GT,
- le dosage sérique des phosphatases alcalines,
- une électrophorèse des protides,
- et un temps de prothrombine.
b) Enfin,une échographie abdominale est réalisée.
II. ASSURER LE DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE (voir tableau I)
1. Il s'agit d'un ictère à bilirubine libre avec ses trois grands cadres diagnostiques (voir tableau II) :
a) Les hémolyses :
- avec une anémie régénérative,
- une diminution de l'haptoglobine,
- une augmentation des réticulocytes,
- une hémoglobinémie et hémoglobinurie positives... ;
b) Le syndrome de Gilbert avec une bilirubine libre, en général inférieure à 50 µmol/l, l'absence d'anomalie sur les enzymes hépatiques, syndrome fréquent en France ; rappelons qu'il s'agit d'une curiosité biochimique et non d'une maladie.
c) Les maladies hépatiques sont rares :
c1) la maladie de Dubin-Johnson : maladie rare, révélée à l'occasion d'une grossesse, d'une maladie infectieuse ou d'une prise d'estroprogestatifs, accompagnée de douleurs abdominales, de troubles digestifs, d'asthénie ;
c2) la maladie de Rotor, proche de la maladie précédente ;
c3) la cholestase récurrente bénigne : maladie rare, autosomique récessive, plus ou moins associée à la cholestase gravidique, de mécanisme inconnu. Les épisodes répétés de cholestase inexpliquée surviennent sur une période de plusieurs années, séparés par de longues périodes asymptomatiques. L'ictère dure en moyenne trois mois (de deux à vingt-quatre mois) accompagné d'amaigrissement, d'asthénie, d'anorexie, de vomissements, de diarrhée, d'une éruption érythémateuse, maculo-papulaire. Le traitement est décevant, mais le pronostic est bon.
2. L'ictère est à bilirubine conjuguée ou mixte (voir tableau I) :
Dans ce cas, cinq grands cadres diagnostiques existent :
a) la dilatation des voies biliaires évoquant :
- une pathologie lithiasique ;
- une pathologie tumorale : tumeur des voies biliaires, tumeur pancréatique ;
- une pathologie rare : cholangite sclérosante, sténose bénigne (radique, chimiothérapie, ischémique, chirurgicale...).
Soulignons, en dehors de l'échographie abdominale, l'intérêt de l'écho-endoscopie et de la bili-IRM, dans le cadre de ce bilan étiologique, notamment à la recherche d'une pathologie lithiasique, parfois difficile à mettre en évidence.
b) Les cholestases intra-hépatiques (voir tableau III)
Nous rappellerons ici les principales étiologies de ces cholestases ; elles sont résumées dans le tableau III avec les tests diagnostiques nécessaires.
b1) La cirrhose biliaire primitive : il s'agit d'une lésion non suppurative de l'épithélium des petits canaux biliaires, parfois associée à des granulomes ; elle survient le plus souvent chez la femme de 50 ans, associée à un prurit et à des xanthélasma. Le test diagnostique est la recherche des anticorps antimitochondrie de type M2 et la ponction biopsie hépatique.
b2) La cholangite sclérosante primitive : il s'agit d'une inflammation progressive et d'une fibrose entraînant des sténoses sur les voies biliaires intra-hépatiques et la voie biliaire principale ; souvent associée à une maladie inflammatoire de l'intestin (dans 60-70 % des cas). Le diagnostic est établi par la recherche des anticorps antinucléaires, la ponction biopsie du foie, et la cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique.
b3) Les cholestases intra-hépatiques médicamenteuses : de très nombreux médicaments peuvent induire une cholestase ; une banque de données est publiée chaque année dans la revue « Gastroentérologie Clinique et Biologique » ; mise à jour régulièrement, elle apporte une information précieuse dans la recherche des cholestases médicamenteuses et sera sûrement disponible auprès de votre gastroentérologue correspondant. Il existe, par ailleurs, des banques de données informatisées. Cependant, les hépatites cholestatiques médicamenteuses sont relativement rares (2 % des malades vus pour un ictère cholestatique dans les années 1980). Les examens d'orientation diagnostiques seront les antécédents d'exposition, l'évolution à l'arrêt du traitement, l'élimination des autres pathologies (notamment par une ponction biopsie du foie).
b4) D'autres étiologies rares de cholestase intra-hépatique existent :
- les infections sévères : leptospirose, pneumopathie, pyélonéphrite, endocardite, sepsis abdominal. Le diagnostic sera réalisé grâce au contexte clinique et aux hémocultures positives ;
- les maladies de surcharge : lymphome, amylose, porphyrie, déficit en alpha 1 antitrypsine ;
- certaines pathologies rares : sarcoïdose, maladie du greffon contre l'hôte, rejet de greffe hépatique, histiocytose X.
b5) Enfin, les cas particuliers en fonction des circonstances :
- cholestase au cours de la nutrition parentérale ;
- cholestase postopératoire (voir les étiologies spécifiques dans le tableau III) ;
- cholestase gravidique : elle survient en général au 2e ou au 3e trimestre de la grossesse, récidive lors des grossesses suivantes, s'accompagne d'un prurit, disparaît à terme ; la bilirubine est en générale inférieure à 100 µmol/l et les transaminases inférieures à 250 UI/ml ;
- la stéatose aiguë gravidique : survenant au 3e trimestre de la grossesse, associée à une asthénie très importante, à des vomissements, à à une nette augmentation de l'activité sérique des transaminases, des phosphatases alcalines et de la bilirubine.
c) Les grandes cytolyses (voir tableau IV) :
- les hépatites virales ;
- les hépatites alcooliques ;
- les hépatites auto-immunes ;
- les maladies rares, notamment la maladie de Wilson ;
- le foie cardiaque aigu ;
- les hépatites médicamenteuses.
d) Les lésions expansives du foie ou infiltratives (voir tableau V) :
- les néoplasies primitives ou secondaires ;
- les infiltrations par des cellules anormales ou une substance extracellulaire : la maladie de Gaucher, les lymphomes, l'histiocytose X, la leishmaniose, l'amylose.
e) La pathologie vasculaire du foie (voir tableau VI) :
- les thromboses portales ;
- le syndrome de Budd-Chiari ;
- la thrombose de l'artère hépatique.
III. CONCLUSION
Une démarche rigoureuse permet dans la très grande majorité des cas d'aboutir au diagnostic.
Caractériser l'ictère
1re- Clinique
étape- Biologie
- Echographie
2e étape
Assurer le diagnostic étiologique
Contexte clinique et
BILIRUBINE
LIBRE
(indirecte)
CONJUGUEE
(directe ou mixte)
Hémolyse
Maladies
hépatiques
Grandes
cytolyses
Cholestase
Pathologies
vasculaires
Dilatations
des voies
biliaires
Lésions
expansives
ou infiltratives
(rappel) tableau II
Ictère à bilirubine
NON conjuguée
(indirecte)
Hémolyse
- anémie
- haptoglobine
- réticulocytes
- hémoglobulinémie
Syndrome
de Gilbert
bilirubine libre
< 50 µmol/L,
vGT, Ph. Alcalines et
transaminases
normales
Maladies
hépatiques
- maladies de
Dubin Johnson, Rotor
- cholestase récurrente
bénigne
Un peu d'histoire
Un médecin sumérien anonyme, qui vécut à la fin du troisième millénaire avant J.-C., décida un jour de rassembler et de consigner par écrit, à l'attention de ses collègues et de ses étudiants, ses prescriptions médicales et ses observations les plus précieuses. Il prépara une tablette d'argile humide, tailla en forme de coin l'extrémité d'un stylet de roseau et inscrivit, dans les caractères cunéiformes de son temps, les noms d'une douzaine de ses remèdes favoris. Ce document d'argile, le plus vieux « manuel de médecine » connu, vivait enfoui dans les ruines de Nippur depuis plus de 4 000 ans. En fait, parmi les 20 000 tablettes cunéiformes, plus ou moins intactes, constituant la bibliothèque d'Assourbanipal, plus de 600 se réfèrent à la médecine de l'époque. En 1951, R. Labat publia un ouvrage : « Traité acadien de diagnostics médicaux », somme des études les plus récentes effectuées dans le domaine. Le Pr Labat, dans ce texte dont la traduction est difficile, parvint à isoler certaines maladies : « La jaunisse : si son corps est jaune, son visage jaune, ses yeux jaunes, si ses chairs deviennent flasques : c'est la jaunisse ». Ainsi, bien avant Hippocrate, des médecins de Mésopotamie avaient identifié l'un des symptômes qui, quelques siècles plus tard, sera reconnu comme faisant partie du tableau clinique des hépatites. Toutefois, si les descriptions des symptômes sont retrouvées dans ces tablettes, les habitants de la Mésopotamie vivaient sous le règne de très nombreuses créatures démoniaques, inventions des prêtres qui s'en servaient pour expliquer l'origine des maladies. Aujourd'hui, nous sommes en mesure de connaître l'étiologie de la « jaunisse » présentée par nos malades.
Cholestase intra-hépatique
PATHOLOGIESTESTS DIAGNOSTIQUES
Cirrhose biliaire primitive- Ac anti-mitochondrie
- Ponction biopsie du foie
Cholangite sclérosante primitive- Ac antinucléaires
- Ponction biopsie du foie
- Cholangiographie rétrograde endoscopique
Pathologie médicamenteuseContexte clinique
Infections sévères
- leptospiroseHémocultures
- pneumonieContexte clinique
- pyélonéphrite
- endocardite
- sepsis abdominal
Maladies de surcharge
- lymphome- Ponction biopsie du foie
- amylose- Ponction biopsie du foie
- porphyries- Recherche des porphyries
- déficit en alpha-1 antitrypsine- Dosage de l'alpha-1 antitrypsine
Maladies rares
- sarcoïdose- Contexte clinique, enzyme de conversion...
- maladie du greffon contre l'hôte- Allogreffe de moelle
- rejet de greffe hépatique- Greffe hépatique
- histiocytose X- Ponction biopsie du foie
Contextes particuliers
- cholestase au cours des nutritionsSurvenant après la 3e semaine
parentérales
- cholestase postopératoire- Traumatisme des voies biliaires
- Recherche d'une hémolyse
- Toxicité médicamenteuse
- Insuffisance cardiaque
- Ischémie per-opératoire (clampage des vaisseaux
hépatiques)
Au cours de la grossesse
- cholestase gravidique2e et 3e trimestres
- stéatose aiguë gravidique3e trimestre
(rappel) TABLEAU IV
Grandes cytolyses
PathologiesTests diagnostiques
Hépatites virales
AIgM anti-HA +
BAg Hbs +, IgM anti-HBc, DNA VHB +
CPCR VHC +
DAg delta +, ARN delta +
EAc anti VHE +
Hépatite alcoolique aiguëContexte clinique et ponction biopsie du foie
Hépatite auto-immuneACAN, AC antinucléaires,
Ac antimuscle lisse, anti-LKM
Ponction biopsie du foie
Foie cardiaque aiguContexte clinique,
Prise de pression intra cardiaque
Hépatite médicamenteuseContexte clinique
Maladies rares
- Maladie de WilsonCuprurie, Céruloplasmine
Ponction biopsie du foie
(rappel) tableau V
Lésions expansives du foie et infiltrations
.
Type de lésionsGeste diagnostique
.
- Néoplasie primitive ou secondairePonction biopsie du foie
- Infiltration par des cellules normalesPonction biopsie du foie
ou une substance extra-cellulaire
- maladie de Gaucher
- lymphome
- histiocytose X
- leishmaniose
- amylose
.
Atteintes vasculaires du foie
.
- Thrombose portaleEcho-Doppler
- Syndrome de Budd-Chiari+-TDM ou IRM
-Thrombose de l'artère hépatique
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