« Le seul acteur de santé qui connaisse bien son patient, c'est le médecin de ville, c'est le seul qui puisse identifier son patient hors de toute technique d'identification. Dans l'autre sens (c'est-à-dire à l'hôpital), ce n'est pas si sûr... », souligne Bernard Eberlé (AP-HP), histoire de rappeler que la loi du 4 mars 2002 met l'hôpital au même niveau que le médecin libéral lambda.
En est-ce fini de l'hospitalo-centrisme qui a marqué nombre de réseaux ville-hôpital ? Un jour, l'hôpital, souvent sous l'impulsion d'un dynamique DSI (directeur du système d'information) encouragé par les appels à projet du ministère de la santé, décidait de communiquer vers la ville, parfois avec l'idée d'entretenir ses (bonnes) relations avec ses médecins correspondants. Le système se révélait plus ou moins pratique pour le praticien prompt à se décourager. D'autant que les médecins hospitaliers déjà peu enclins au partage au sein même de l'hôpital, n'encourageaient pas toujours le secrétariat à mettre les éléments du dossier sur l'Extranet accessible aux médecins traitants. Ajoutons à cela que la superposition des appels d'offre e-santé 2000 (et suivantes) géré par le ministère et du Faqsv destiné aux projets impliquant les soins de ville financés par les Urcam, a plutôt encouragé l'hétérogénéité des réseaux. Un grand pas en avant a été franchi, estime Bernard Eberlé, depuis que les ARH réussissent à réunir tout le monde autour d'une même table. Des plates-formes régionales se montent en Aquitaine et Franche-Comté notamment. En Paca, on assiste avec Enosis au regroupement de tous les réseaux.
La plate-forme prévoit un identifiant commun régional du patient et convient d'un dossier médical partagé minimum, sorte de racine commune (compte-rendu opératoire, compte-rendu d'hospitalisation, radiographies, synthèse des dernières consultations) accessible en utilisant la sécurité du GIP-CPS.
C'est à ce niveau que s'établissent les standards.
A la Dhos (direction de l'Hospitalisation et des Soins), Philippe Cirre insiste : il faut conduire une approche stratégique des systèmes d'information hospitaliers (SIH), vérifier par exemple que l'information soit destinée à sortir de l'hôpital ! Cela paraît évident, mais le Pr Régis Beuscart (CHR de Lille) explique en partie les difficultés de montée en puissance de la plate-forme Rithme (réseau Intranet hôpitaux médecins de ville) unissant les hôpitaux de la région Nord - Pas-de-Calais, par le fait que dans les SIH, les lettres ne sont pas prévues pour être envoyées electroniquement. Ce qui bloque aujourd'hui l'envoi des courriers, ce sont des petites choses : ce doit être facile pour la secrétaire, il faut qu'elle soit sûre que le message soit bien arrivé, etc.
En revanche pour le généraliste, ces courriers électroniques constituent un réel gain de temps : il lui faut douze minutes pour prendre connaissance de 30 courriers papiers, sept minutes seulement sous forme de courriels. Résultat des petits blocages, 1 500 messages/mois transitent par Rithme, alors que le portail Extranet de l'association Ammelico des libéraux du Nord en voit passer 150 000 !
Le phénomène Apicrypt
Et si comme le dit le Dr Richard Sion, président d'Ammelico (Association des médecins de la métropole et des environs lillois informatisés et libéraux communicants), il fallait
« d'abord faire démarrer la messagerie avant de passer au partage du dossier patient ».Une façon d'apprendre aux professionnels de santé à échanger entre eux. Pour lancer ce projet, il s'est appuyé sur Apicrypt une messagerie cryptée associative, seule alors disponible pour Mac et PC et non dépendantes d'un fournisseur d'accès Internet. Elle a récemment déposé son dossier d'homologation au GIP-CPS, ce qui lui permettra d'être interopérable avec les autres messageries fonctionnant avec la CPS. Ammelico c'est aujourd'hui 650 adhérents, 150 biologistes et la connexion avec les hôpitaux de Rithme.
Si le médecin dispose d'un logiciel ayant intégré Apicrypt (Mégabaze, Medistory, Hypermed, Altyse, Fisimed, Shaman), le courrier (lettre, compte-rendu, résultat de biologie) arrive automatiquement dans le dossier patient au bon endroit. 150 000 courriers/mois, le chiffre est impressionnant même si 95 % de ces « échanges » sont aujourd'hui constitué par la récupération des résultats de laboratoire.
Le phénomène est contagieux puisque un réseau de communication s'est mis en place autour de l'hôpital de Briey (de 400 à 500 lits) depuis octobre 2002. En 2003, trois cents courriers apicryptés (comptes-rendus, résultats biologiques) sont partis chaque mois de l'hôpital vers une quinzaine de médecins adhérents. En 2004, on approche les 500. Un autre réseau s'est développé autour du centre hospitalier de Laon où 70 clés de cryptage ont été attribuées aux médecins et aux secrétaires. Dans le Laonnois, l'immense majorité des généralistes (soit une quarantaine) et une grande majorité des spécialistes (soit une dizaine) sont équipés, commente le Dr Benoît Cabanel, généraliste à Laon,
« et nous sommes nombreux à envoyer les courriers aux spécialistes par cette voie cryptée, que ce soit lorsqu'on adresse un patient pour une consultation spécialisée ou pour une spécialisation. Nous pouvons même communiquer maintenant avec le CHU de Reims qui est équipé lui aussi avec Apicrypt ».En fait, la plus grosse opération Apicrypt n'a qu'à peine commencé, il s'agit du démarrage de FED 92, réseau d'échanges par messagerie qui tisse progressivement sa toile dans les Hauts-de-Seine. Les hôpitaux Antoine-Beclère, Beghin et Percy, l'hôpital privé d'Antony (250 libéraux), presque tous les radiologues (Clamart, Meudon, Issy-les-Moulineaux, Châtillon), quelques pharmacies (Clamart et Châtillon), les laboratoires d'analyse et plusieurs centaines de médecins sont équipés ou vont l'être incessamment. Le secret de FED 92, c'est son infatigable et persuasif promoteur, le Dr Jean-Paul Hamon, président de la fédération Unaformec FMC 92. Et sa méthode : intéresser les généralistes et
« quand on en a un paquet, les laboratoires et les cabinets de spécialistes suivent ».Deuxième atout, la formation des utilisateurs grâce aux crédits du Faqsv obtenus en 2001 et 2002 et sans doute pour une troisième année. Enfin, l'arrivée de l'Adsl offert aux participants pendant les six premiers mois. Et ce n'est pas fini.
« Dans le nord du 92, l'hôpital Foch va faire le lien avec Levallois qu'on commence à coloniser. Dans le sud, j'ai vu les médecins de Cachan et des communes alentour. On va équiper le réseau Onco Sud qui comprend l'IGR et Bicêtre. On va pouvoir attaquer Paris intra muros. »L'enthousiasme du Dr Hamon est communicatif.
Bien sûr, FED 92 n'est pas en pointe sur le fameux dossier patient partagé qui se concocte dans les ARH.
« C'est un réseau d'un émetteur à un destinataire, c'est basique mais ça marche »,convient Bernard Eberlé.
L'ouverture vers la ville
Face à ce développement des échanges par courrier électronique impulsés par des médecins libéraux, les hôpitaux continuent à s'ouvrir vers la ville à partir de leur propre système d'information.
Citons deux exemples récents.
Le CHU de Rouen a commencé, il y a trois mois, avec des médecins exerçant à la fois en ville et à l'hôpital, la mise à disposition sur un Extranet (accès sécurisé par CPS) de certains éléments du dossier d'hospitalisation : comptes-rendus opératoires, CR d'hospitalisation, résultats biologiques.
Portalys, le système d'information de l'institut Curie s'est ouvert depuis l'automne dernier à l'ensemble de ses correspondants (un potentiel de 35 000 médecins). S'ils sont encore très peu à se connecter (une cinquantaine de médecins actifs), le nombre d'inscrits progresse régulièrement (entre cinq et dix nouveaux par mois).
« Les patients ont encore un peu peur que leur dossier soit accessible par Internet,explique un responsable,
de plus les médecins ne se servent pas tous encore très bien d'Internet. »C'est bien pour ça que FED 92 commence par les former avant de leur proposer d'entrer dans le réseau !
Mais Bernard Eberlé reste optimiste. «
C'est en train de changer. Ce qui semble impossible dans certaines régions, l'est dans d'autres. »Et en matière de communication ville-hôpital, force est de constater que jusqu'à présent
« la vraie vie est ailleurs qu'à Paris ».Chez nos voisins
- En Suisse, 50 % des généralistes vont être en réseau dans le cadre d'un projet hospitalier.
- Aux Pays-Bas, il existe deux réseaux ville-hôpital.
- Au Danemark, un grand réseau réunit 100 hôpitaux et 3 500 généralistes. Passent par le réseau, 73 % des prescriptions, 85 % des lettres et en 2004 ce sera 100 %.
Exemples cités par le Pr Beuscart dans la conférence sur les réseaux Ville Hôpital du forum Informedica au MEDEC 2004.
Un psychosociologue du travail pour le réseau de Mâcon
Inauguré en grande pompe il y a cinq ans, présenté comme une « première mondiale », le réseau ville-hôpital de Mâcon, monté à l'initiative de l'association réseau ville-hôpital du Mâconnais présidée par le Dr Janin, devait être exemplaire des applications sécurisées du Réseau santé social. Mais lors de l'ouverture du réseau, la moitié des 200 médecins généralistes du Mâconnais n'étaient pas informatisés, la proportion d'abonnés au RSS était encore plus faible et la CPS était inégalement diffusée. Résultat, si 40 médecins avaient manifesté au départ un intérêt pour le réseau, ils ne furent que quelques-uns à se connecter. A cela se sont ajoutés des problèmes techniques : lourdeur de la procédure d'autorisation de connexion, conflit (lié à l'utilisation du même lecteur pour la CPS) entre le transfert de dossiers médicaux et la télétransmission des FSE. Depuis un an, l'ouverture du réseau à tous les opérateurs a levé un frein. « Une dizaine de médecins sont actuellement connectés et le taux de connexion augmente depuis le début de l'année (263 connexions pour les trois premiers mois), souligne Cyril Chaux, psychosociologue du travail engagé en 2001 sur un crédit Faqsv pour accompagner le réseau. Il mène une action de communication auprès des médecins de l'hôpital qui ne pensent pas toujours à alimenter l'Extranet avec les dossiers des patients hospitalisés (examens complémentaires, imagerie, résultats de biologie sauf bactériologie, comptes-rendus, observation et tous les courriers).
« Quand le médecin dicte une lettre, il faut qu'il indique à la secrétaire qu'elle doit la mettre dans l'Extranet.Je suis à l'interface entre le monde des soignants et le monde libéral, c'est passionnan », confie le psychosociologue. Il y encore quelques difficultés à vaincre : les médecins traitants sont déçus de ne pouvoir accéder à tous les dossiers, problème de temps d'accès plus long sur un site sécurisé que sur un site normal si l'on n'a pas l'Adsl, partage d'information à sens unique par ce que les médecins ne peuvent encore rien envoyer. De fait, le dossier patient partagé en est encore au stade de la réflexion. « C'est sur la bonne voie », conclut le Dr Janin.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature