Budget de la recherche

La communauté des chercheurs est au bout du rouleau

Publié le 13/01/2004
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EN QUELQUES JOURS, la pétition lancée par une dizaine de directeurs de recherche des instituts Cochin, Pasteur et Curie a eu un succès à la hauteur de l'exaspération des chercheurs. Plus de 4 600 chercheurs français réclament des crédits supplémentaires et des créations de postes pour les jeunes chercheurs. « Si les pouvoirs publics ne mesurent pas la gravité de la situation et, en particulier, la désespérance des plus jeunes, qui devient le problème central de nos laboratoires, les directeurs d'unités et d'équipes signataires présenteront leur démission collective de leurs fonctions de direction », préviennent-ils dans ce texte intitulé « Sauvons la recherche » (« le Quotidien » du 12 janvier).
Parmi les premiers signataires figurent des chefs d'unité ou d'équipe, notamment Axel Kahn, directeur de l'institut Cochin, Alain Fischer, directeur d'une unité Inserm-institut Necker, Jean-Denis Vigne, vice-président du conseil scientifique du Muséum et médaille d'argent 2002 du Cnrs. « J'envisage sérieusement de partir travailler aux Etats-Unis », a indiqué Claude Allègre, ancien ministre de l'Education et de la Recherche, et membre de l'Académie des sciences. « On se trouve dans une situation absolument catastrophique », a-t-il dit, en estimant que « les chercheurs français ont été d'une patience extraordinaire jusqu'à présent. »
L'annonce par la ministre de la Recherche du dégel des crédits de subvention d'Etat non versées en 2002 n'a pas calmé le jeu. « Claudie Haigneré n'a toujours pas supprimé les annulations de crédits de 2003 », fait remarquer Jacques Fossey, secrétaire général du syndicat des chercheurs Sncs-Fsu.
Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a répondu cette semaine au mouvement de colère des chercheurs en affirmant « solennellement qu'il est faux de dire que les moyens de la recherche publique diminuent dans notre pays ».
« Il y a des progrès à faire dans la gestion, il y a des progrès à faire dans la stratégie », a-t-il ajouté.

Payé par le chômage.

« Je suis consterné par les réactions gouvernementales », confie au « Quotidien » Thomas Heams, doctorant au sein du département de biologie cellulaire, à l'institut Cochin. « C'est un peu fort de café d'entendre le directeur de cabinet de Claudie Haigneré affirmer qu'il faut cesser de voir les choses de manière réductrice. Actuellement, je termine ma thèse et je suis payé par le chômage. Est-ce une situation normale ? On vit de tout et de n'importe quoi. Je n'en peux plus de quémander. Nous n'avons aucune perspective d'embauche. Je connais quelqu'un d'aussi passionné que moi qui travaille, à 35 ans, depuis sept ans comme postdoc et qui a accumulé 14 contrats différents. Tous les six mois, il doit chercher un financement. C'est usant. J'appelle ça de l'écrémage par épuisement. Avec mon diplôme d'ingénieur agronome, je me demande vraiment si je vais continuer dans la recherche. »

De l'écrémage par épuisement.

Conformément au vœu du président Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin s'est engagé à ce que la recherche fasse l'objet d'une loi d'orientation dès cette année. « La gestion et le pilotage de la recherche publique seront modernisés, selon les meilleures pratiques internationales, avec plus de souplesse et de réactivité, a-t-il expliqué. La logique des grands programmes sera renforcée. » Sans financement, assure Jacques Fossey, cette loi d'orientation sera « du bricolage. La question centrale reste : quels moyens le gouvernement va-t-il mettre à la disposition de la recherche publique ? » « Par ailleurs, insiste-t-il, toutes les disciplines doivent être développées. Le financement sur projet accentue les phénomènes de mode. Il n'est jamais bon de mettre ses œufs dans le même panier. »

La recherche en chiffres

L'objectif du gouvernement est de porter le montant de la dépense intérieure de recherche et de développement (Dird) à 3 % du PIB fixé à l'horizon 2010. Pour l'instant, l'effort de l'Etat est de 0,95 % du PIB et celui de la sphère privée de 1,25 %.
En 2003, les dépenses de recherche représentaient 2,13 % du PIB en France, contre 2,98 % au Japon et 2,69 % aux Etats-Unis.
Près de 370 000 personnes travaillent dans l'appareil de recherche (données 2000 du ministère de la Recherche, hors doctorants et personnels non statutaires) dont 191 000 sont chercheurs. Il y a près de 10 000 doctorats et 23 500 DEA obtenus par an.

> STÉPHANIE HASENDAHL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7455