ETHEL A 10 ANS lorsque son grand-oncle l'amène visiter l'Exposition coloniale à Vincennes ; Monsieur Soliman lui fait partager son rêve de reconstruire le pavillon de l'Inde dans un jardin du 15e arrondissement ; une fois démontées, les pièces vont s'accumuler sous une bâche mais la mort empêchera ce qui devait être la Maison mauve. Elle a alors 13 ans et son père convainc un notaire complaisant de lui donner la mainmise sur l'héritage de sa fille mineure. Sa mère Justine a certainement protesté – Ethel a entendu l'une de leur sempiternelles disputes – mais comme d'habitude elle s'est pliée aux caprices de ce mari volage et insouciant mais si charmant.
La suite on la devine : la dilapidation de la fortune jusqu'à la pauvreté absolue, après notamment qu'un horrible immeuble de placement a été érigé en lieu et place de la Maison mauve.
C'est à travers le destin de cette famille que J.-M. G. Le Clézio fait revivre cette époque, détestable s'il en est. Chaque premier dimanche du mois Alexandre invite à déjeuner parents, amis, relations et visiteurs de passage – des affairistes pour la plupart, ceux-là même qui le dépouillent sans qu'il s'en rende compte.
Un témoin privilégié.
Témoin privilégié, Ethel fait son miel de ces « conversations de salon » et les retranscrit dans un cahier. Elle aime ces après-midis où toujours l'on revient sur le temps jadis, dans ^¨, et «ces Mauriciens au parler fort, au rire communicatif, dotés d'humour et de méchanceté». Une opinion que ne partage pas Monsieur Soliman, pour qui «petit pays, petites gens». Elle s'aperçoit aussi qu'au fil du temps, alors que s'installe le Front populaire et que revient le nom d'Hitler, les idéologies s'affirment, de plus en plus marquées à droite et par l'antisémitisme.
Ethel a 18 ans lorque, après leur revers de fortune et la débâcle qui la transforment en chef de famille, elle prend le volant d'une De Dion- Boutton pour les conduire jusqu'à Nice – où le récit se poursuit.
On n'a pas parlé ici de l'extrême amitié qui a lié Ethel à Xénia (un personnage inspiré par Nathalie Sarraute qui habitait le même quartier « breton » de Paris), la fille de Russes blancs acharnée à retrouver son statut d'avant, ni de l'amour-amitié de la jeune fille pour un exilé de Maurice qui, lui, a choisi le camp anglais : c'est la marque de Jean-Marie Gustave Le Clézio d'offrir dans une apparente simplicité d'écriture – de style et d'intrigue – une richesse insoupçonnée de voies de rêve et de réflexion.
Éditions Gallimard, 207 p., 18 euros.
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