L E président yougoslave, Vojislav Kostunica, tient un raisonnement rigoureux : le retour de la démocratie en Serbie apportait la garantie que Milosevic serait jugé à Belgrade conformément au droit ; et que, s'il a commis des crimes contre l'humanité, la justice serbe l'aurait condamné pour ces crimes.
Le transfert de l'ex-dictateur à La Haye a donc ses inconvénients : il déstabilise la Serbie, partagée entre ses nationalistes et ses démocrates, M. Kostunica appartenant aux deux camps ; il accroît l'anti-américanisme et l'anti-européanisme, qui avaient été portés à l'incandescence par les bombardements de l'OTAN ; il jette un doute sur la capacité des Serbes à gérer leur passé récent et à évoluer. Si Milosevic a été remis au TPI, c'est parce que la Yougoslavie ne peut pas se passer de l'aide occidentale. Mais le débat autour de son sort judiciaire handicape sérieusement la démocratie serbe, naissante et terriblement fragile.
Il faudra beaucoup de temps et de patience pour que la Serbie de Kostunica se reconstruise, se développe et s'ouvre à l'Europe, c'est-à-dire aux pays qui lui ont fait la guerre.
Aux Balkans, on est toujours dans les paradoxes : pour les Serbes qui, il y a deux ans, jouaient désespérément la carte russe et vomissaient leurs agresseurs, il n'y a pas aujourd'hui d'autre voie que le rapprochement à avec l'Union européenne. Nous demandons aux Serbes de parcourir en quelques mois ou en quelques années une très longue distance, celle qui conduit du nationalisme - et de l'obscurantisme - à la croissance économique et aux institutions démocratiques. Lorsque Milosevic a été chassé du pouvoir, ce fut avec le consentement de l'armée qui venait pourtant d'être humiliée par l'OTAN. Le refus des militaires de jouer alors un rôle politique, de même que leur refus de s'opposer au transfert de Milosevic, montre qu'il existe une prise de conscience des souffrances que l'ancien dictateur a infligées à son peuple. Il n'est donc pas inimaginable que les civils serbes suivent l'exemple de l'armée et l'amplifient : le temps est bel et bien révolu des concerts rock que les Serbes organisaient sur les cibles stratégiques pour défier l'aviation alliée. Un comportement suicidaire est possible pendant un bref moment, il ne peut pas servir de fondement à une politique. Et les Serbes qui, par ailleurs, n'ignorent rien de l'Occident qu'ils ont tant détesté, veulent nourrir l'espoir d'une vie meilleure.
Combien sont-ils, en effet, les nationalistes purs et durs capables d'ébranler le pouvoir ? Quel crédit ont-ils encore, quand ils manifestent dans les rues ? Quelle influence politique peuvent-ils exercer sur le gouvernement ? On remarque que, pour ne pas sembler se livrer aux Américains, Vojislav Kostunica insiste sur les relations qu'il veut établir avec l'Europe et l'Europe seule. Mais les Européens ont participé aux bombardements et à l'occupation du Kosovo au même titre que les Américains. Cette différence subtile que le président yougoslave veut établir entre les deux entités du même camp ne dupe personne. C'est des alliés que venait tout le mal ; c'est avec eux que se fera la reconstruction de la Serbie.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature