On assiste à la tragédie sanglante qui se déroule en Israël et dans les territoires avec le double sentiment qu'elle était parfaitement prévisible quand a été déclenchée la deuxième intifada et que, bien que son évolution fût inéluctable, pas un homme dans l'un ou l'autre camp n'a tenté vraiment de l'empêcher.
Ni dans les deux camps, ni en Europe ni aux Etats-Unis. La différence entre Américains et Européens est la suivante : peu désireux d'intervenir, les dirigeants des Etats-Unis s'abstiennent de faire des commentaires ; incapables d'intervenir, les dirigeants européens n'en portent pas moins des jugements.
Interrogé sur France-Inter, Lionel Jospin ne pouvait échapper à des questions sur le Proche-Orient. Il a fait porter toute la responsabilité du conflit à Ariel Sharon. Le chef du gouvernement ne manque pas d'arguments : M. Sharon n'a pas tenu sa promesse de ramener la sécurité dans son pays. Pire : depuis qu'il a été élu, le nombre d'Israéliens tués dans les combats ou dans les attentats n'a fait qu'augmenter. Ce triste bilan, explique M. Jospin, est dû au simple fait que M. Sharon n'a pas de politique. Il n'a pas tort sur ce point non plus et nous-mêmes, dans ces colonnes, avons reproché au Premier ministre israélien de se borner à des options militaires qui ne font qu'accélérer le cycle actes de vengeance-représailles.
Ce que veut Arafat
Mais dire que M. Sharon est le seul responsable du carnage est une énormité et un contresens. Premièrement, on ne peut pas commenter l'intifada sans rappeler que c'est Yasser Arafat qui l'a voulue, après avoir refusé les propositions d'Ehud Barak, et que c'est le même Arafat qui a incité les Israéliens à élire Sharon.
Deuxièmement, sans remonter à vingt mois en arrière, il n'est pas au-dessus des compétences de M. Jospin de faire une analyse plus subtile. Le mouvement insurrectionnel actuel des Palestiniens n'a plus rien à voir avec la « révolte des cailloux » de la première intifada. Il ne s'agit pas de créer un abcès qui rend nécessaire une solution politique. Il s'agit de conquérir du terrain par les armes. Ce n'est pas une révolution, c'est une guerre.
Les terroristes palestiniens ne se contentent pas d'attaquer les Israéliens qui vivent dans les territoires, dans l'espoir de les inciter à retourner dans l'Israël d'avant 1967. Ils commettent des attentats en Israël même pour y créer un climat d'insécurité tel que certains Israéliens envisagent d'émigrer. L'objectif des combattants palestiniens n'est pas seulement de chasser les Israéliens de Cisjordanie et de Gaza, il est de les bouter hors d'Israël.
Les objections à cette thèse sont connues : les Palestiniens n'ont pas les moyens de ce dessein, pour autant qu'ils le nourrissent. Primo, leur férocité ne laisse aucun doute sur leur projet, aussi irréalisable qu'il paraisse ; secundo, ils s'en donnent peu à peu les moyens. Sans avoir cessé leurs attentats contre des civils, ils s'attaquent aussi à l'armée, où ils font de nombreuses victimes. Ils ont réussi récemment à détruire un char. Le chargement d'armes intercepté par les Israéliens montre qu'ils finiront pas disposer d'une panoplie capable de porter des coups très durs à Tsahal. Tous ceux qui s'intéressent au problème savent que les Palestiniens, aidés par le Hezbollah libanais, qui se targue d'avoir bouté l'armée israélienne hors du Sud-Liban, en appliquent les méthodes de harcèlement. En d'autres termes, c'est par la force que les Palestiniens, tous les Palestiniens, ceux d'Arafat et ceux qui appartiennent aux mouvements extrémistes, veulent régler le conflit. Il ne s'agit pas de partager, mais de vaincre.
Prêts à payer le prix
Mission impossible ? Pas dans un affrontement entre une société qui sacralise la vie et une société qui sacralise la mort. Les Palestiniens sont prêts à payer le prix de leur victoire. Les extrémistes ne rendent jamais de comptes au sujet des victimes civiles palestiniennes. Ils se contentent de dénoncer le « terrorisme » de Sharon, surtout quand l'armée tue des femmes et des enfants (pour s'en excuser après). Ce n'est jamais leur faute, mais celle de l'ennemi. Alors que les victimes israéliennes font peser une menace de plus en plus lourde sur la popularité de M. Sharon et, à terme, sur son poste.
Deuxièmement, dès lors que les Palestiniens établissent ce rapport de forces, ils ne laissent aucun choix à M. Sharon. Si, aujourd'hui, il faisait mine de parlementer, il semblerait céder à la pression des armes. Quand les Palestiniens crient à tue-tête qu'ils feront à Gaza ce que le Hezbollah a fait au Liban, ils ne peuvent que durcir l'attitude israélienne.
Il est vrai que les Israéliens n'ont jamais voulu négocier en position de faiblesse. Mais il y a une bonne raison à ce principe : la cruauté de leurs ennemis ne laisse aucun doute sur leurs intentions. M. Sharon a exigé le calme absolu pendant une semaine avant d'ouvrir des négociations. Cette exigence a été qualifiée de « stupide » par des Européens. Mais ce ne sont pas les Européens qui meurent.
Le problème ne vient pas de cette exigence israélienne, il vient de ce que M. Sharon n'a pas l'intention de restituer les territoires aux Palestiniens. Chaque jour qui passe montre à M. Sharon qu'il n'a pas complètement tort : si les Palestiniens s'engagent dans la voie de la force, leur donner un statut aujourd'hui, c'est préparer la guerre de demain.
Un bon Premier ministre israélien serait celui qui, tout en se battant, réaffirmerait chaque jour que les accords d'Oslo, de Camp David et de Taba sont toujours valables pour autant que les Palestiniens renoncent à la force. Ce n'est pas le cas de M. Sharon qui est déjà arrivé au bout de son programme et qui a échoué. Mais même si, par miracle, la gauche israélienne revenait au pouvoir, elle ne pourrait pas négocier sans des garanties pour la sécurité d'Israël.
C'est pourquoi l'analyse de M. Jospin est sommaire. Elle s'appuie sur des principes bruts, comme le droit des peuples à l'autodétermination, qui ne recouvrent pas la réalité du Proche-Orient. C'est un Israël abattu, à bout de souffle, peut-être vaincu, qui conviendrait à M. Jospin et à beaucoup d'Européens avec lui. Alors, l'Europe n'aurait pas assez de larmes pour déplorer la défaite israélienne, de même qu'elle n'en a pas assez aujourd'hui pour pleurer la tragédie palestinienne, avec le même résultat. Ce que les Européens ne font pas pour les Palestiniens, ils ne le feraient pas davantage pour des Israéliens en danger.
A cette différence près qu'une défaite israélienne serait irréversible. Il vaudrait mieux le savoir avant de juger. M. Sharon concentre à peu près toutes les tares que l'on peut reprocher à un chef de gouvernement, l'absence de vision, le recours à la force, les solutions militaires. Mais M. Arafat et les Palestiniens avec lui font tout ce qu'ils peuvent pour en faire le plus légitime des Premiers ministres.
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