L A polémique sur le passé trotskiste du Premier ministre ne s'est aggravée que parce que nous sommes déjà en période électorale. Les Français ne sont pas vraiment intéressés par ce que Lionel Jospin pouvait penser il y a 35 ans, au moins pour deux raisons : ils ne croient pas une seconde aux capacités subversives des idées de l'extrême-gauche et s'ils donnent un mandat à la gauche, c'est pour appliquer une politique identifiée aux valeurs actuelles du Parti socialiste.
Les journaux abondent de révélations sur les « taupes » trotskistes qui continueraient à jouer un rôle clandestin en politique, sur les idées qu'ils ont répandues en France et au sein de courants politiques qui, sans avouer leur vraie couleur, seraient noyautés par des révolutionnaires, sur les rapports qui existeraient entre divers mouvements, comme ATTAC et les militants de l'anti-mondialisation, et des trotskistes repentis ou réels.
Il ne faut certainement pas négliger l'influence d'une idéologie qui vient de pousser le Parti communiste à se lancer dans la surenchère sociale, au point que le gouvernement a modifié un projet de loi pour qu'il soit voté par les communistes. Mais d'abord cette modification est mineure ; et puis, les trotskistes savent que s'ils apparaissaient au grand jour, ils feraient peur à la majorité dite silencieuse et seraient mis en échec à l'occasion d'un scrutin.
On peut même dire que trotskistes anciens ou actuels ne peuvent faire une carrière politique que s'ils sont récupérés par le système, lequel est beaucoup plus vigoureux qu'on ne le pense et n'a donc pas besoin de se protéger, sinon par les consultations électorales. Après tout, la liberté d'expression est un acquis irréversible en France.
Si même M. Jospin avait gardé de son passé trotskiste quelques idées subversives, il ne serait pas en mesure de les appliquer. Il ne peut faire, en vérité, que ce pour quoi il est mandaté. La droite le sait bien, qui lui fait un procès plus formel qu'essentiel : elle ne lui reproche pas son « erreur de jeunesse », elle lui reproche d'avoir tenté, longuement et vainement, de la cacher. Elle n'a qu'un but : saper la popularité de M. Jospin à neuf mois de l'élection présidentielle, alors que Jacques Chirac lui-même affronte des difficultés liés à son passé de maire de Paris.
Manuvres
Ce qui est plus gênant, c'est que la grossièreté des manuvres pré-électorales apparaît au grand jour. Les parlementaires refusent de « lâcher » le chef du gouvernement au sujet de son trotskisme d'autrefois ; il finit par s'emporter et les renvoie au refus du chef de l'Etat de s'expliquer devant des instances judiciaires.
M. Jospin a-t-il « perdu les pédales » ou « pété les plombs », comme l'affirme Jean-Louis Debré ? Rien n'est moins sûr. Il s'attendait à une relance de l'opposition au sujet de son passé politique et il a préparé sa riposte. Il a pris le risque de confirmer de la sorte les accusations de l'Elysée et de l'opposition : M. Jospin est censé être hostile à la démarche du député socialiste Arnaud Montebourg, qui tente de réunir le nombre de voix parlementaires nécessaire à la comparution du président de la République devant la Haute Cour de justice mais, en déclarant dans l'enceinte du Palais-Bourbon que son comportement est infiniment moins grave que celui de M. Chirac, il accrédite la thèse selon laquelle lui et ses amis jouent un double jeu dans l'affaire de la mairie de Paris. Ils ne mangeraient pas de ce pain-là, ils ne veulent pas gagner une élection en discréditant le président, mais ils ne seraient pas du tout mécontents qu'il arrive extrêmement affaibli devant les électeurs.
De ce point de vue, les crocs-en-jambe et les coups de Jarnac risquent de se multiplier dans les mois qui viennent et donc d'offrir de la politique française une image ternie.
Arrière-pensées
Les Français auront constaté néanmoins que lorsque MM Chirac et Jospin se sont retrouvés à la fin de la semaine dernière à Göteborg (Suède) pour le sommet des Quinze, ils ont refusé d'évoquer leurs querelles malgré l'insistance des journalistes et ont exposé des idées identiques sur l'évolution de l'Europe. Miracle d'une cohabitation qui ne risque pas de déboucher sur une catastrophe tant que les deux têtes de l'exécutif sont contraintes de coopérer.
L'hypocrisie, les arrière-pensées, un conflit sous-jacent presque violent sous-tend donc la cohabitation qui, bien qu'il ait la faveur des Français, est le pire des systèmes, non parce qu'il conduirait à quelque désastre, mais parce qu'il empoisonne et dégrade la vie politique. Si nous voulons garder la Constitution de la Ve République, nous devons donner au président élu la majorité dont il a besoin pour gouverner. Ce serait plus sain pour les gouvernants. Et pour les gouvernés.
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