SI LES DÉCLARATIONS RADICALES du président Cfdt de la Cnam relancent la polémique sur la liberté d'installation en médecine libérale, cette offensive marque en réalité l'aboutissement d'une longue réflexion au sein de l'assurance-maladie qui s'oriente progressivement vers des mesures autoritaires pour enrayer la désertification médicale.
Jusqu'en 2005, l'idée la plus répandue, y compris du côté des partenaires sociaux, était de donner toute leur chance aux incitations de tout poil : aides financières à l'installation, au maintien d'activité ou au remplacement, indemnités pour les étudiants (octroyées par certaines collectivités locales), mesures attractives dans les zones franches urbaines ou déficitaires, exonérations fiscales… Strate après strate, l'arsenal s'est considérablement enrichi au gré de la vie conventionnelle et législative (encore la loi sur les territoires ruraux en 2005…), au point que plus personne ne se retrouve vraiment dans ce maquis des incitations (pas toujours applicables au demeurant).
Quoi qu'il en soit, malgré les efforts de transparence des syndicats (la Csmf, par exemple, a recensé récemment sur son site l'ensemble des aides disponibles), malgré les renseignements précieux fournis aux professionnels par les unions régionales des caisses d'assurance-maladie (Urcam, via le dispositif en ligne cartos@nté, l'outil instals@nté…), le sentiment qui domine est celui d'un constat d'échec. «Le professionnel qui veut vraiment connaître les informations sur ce qui existe les trouvera, analyse Dominique Cherasse, directeur de l'Urcam île-de-France. Le vrai problème, c'est que les aides à l'installation ne sont pas déterminantes, ce sont plutôt les conditions de vie et d'exercice.»
Le virage de l'avenant n° 20.
Dès lors, la boîte à outils de la caisse pour réparer les dégâts de la démographie médicale a commencé à associer l'« incitatif » et le « coercitif ». L'avenant n° 20, publié en mars dernier, marque ici un tournant. En préambule, le texte insiste sur les écarts de densité médicale du simple au double entre les départements, s'inquiète pour la première fois de l'émergence de «déserts médicaux» avec la baisse des effectifs programmée dans «les quelques années à venir» et rappelle l'existence en 2006 de zones déficitaires où exercent environ «1600généralistes répartis sur 4500communes» (2,6 millions d'habitants concernés). Côté carotte, l'avenant crée une nouvelle option conventionnelle pour favoriser l'installation et le maintien des généralistes en zones déficitaires avec un bonus de 20 % sur les honoraires (C + V) de ces médecins exerçant dans ces secteurs en cabinet de groupe. La généralisation de bourses d'études pour les carabins qui s'engagent à s'installer dans une zone déficitaire est également envisagée.
Mais, côté bâton, il est prévu de dresser un bilan général de la situation dès le «premier trimestre 2009» pour vérifier l'impact de ce bonus de 20 % sur le terrain : en cas d'échec, des «mesures de régulation complémentaires, le cas échéant financières», seront prises notamment dans les zones médicalement très surdotées. En clair, la Sécu pourrait pénaliser les professionnels qui décideront malgré tout de s'installer dans un secteur excédentaire (non-prise en charge de leurs cotisations sociales, par exemple).
La réflexion sur l'équilibre idéal entre incitation et coercition se poursuit.
Dans ses propositions de juillet pour aider le gouvernement à préparer le Plfss 2008, la direction de la Cnam consacre un «axe» à la meilleure répartition des professionnels (médecins, infirmières…). Elle suggère à nouveau des «mesures désincitatives dans les zones en sur-densité» au cas où les mesures incitatives «ne sont pas rapidement efficaces». Rapidement ? Le président Cfdt de la Cnam, Michel Régereau, n'a pas eu cette patience. Pour lui, il n'est que temps de revoir les règles d'installation en médecine libérale.
Des « piques » dans l'air du temps
La polémique sur la limitation ou la suppression de la liberté totale d'installation rebondit périodiquement.
Lors du débat interne qui a précédé le choix de leur candidat pour l'élection présidentielle en octobre 2006, le Parti socialiste (PS) avait rouvert la boîte de Pandore. «A partir du moment où l'Etat prend en charge les études médicales, il faut réfléchir à une meilleure répartition des médecins sur le territoire, jugeait Ségolène Royal. Cela se fait déjà pour d'autres professions, et au moins pour une partie de leur carrière.» Son rival, Laurent Fabius, n'était pas en reste : «Si les étudiants en médecine n'acceptent pas d'aller prioritairement dans les zones sous-médicalisées, ils n'auront pas de conventionnement, c'est pour moi une piste très intéressante.»
Certains doyens affichent volontiers un discours de fermeté. «La totale liberté laissée aux médecins quant à leur lieu d'installation est en contradiction avec l'intérêt général de leurs compatriotes, commentait l'an passé le Pr Patrick Berche, doyen de la faculté de Paris-V. Je suis très favorable à la mise en place d'un service médical obligatoire de trois ans à la fin des études de médecine, en quelque sorte pour payer la contribution des citoyens à la formation gratuite des médecins.» Dans une lettre ouverte aux étudiants de sa faculté, le doyen développait sa pensée. «Selon leur mérite (classement aux ECN...) et leur qualification, les jeunes médecins spécialistes et généralistes devraient s'installer pendant un temps limité dans des régions médicalement déshéritées, selon les priorités du ministère de la Santé et avec l'aide des maires et des régions.»
En mars 2007, l'Académie de médecine prônait dans un rapport sur la démographie une politique de régulation stricte. Elle suggérait ni plus ni moins de confier à... l'Ordre des médecins l' «encadrement des nouvelles installations de médecins généralistes dans les zones déjà largement médicalisées».
Et les fédérations hospitalières publiques et privées (FHF et FHP) ont proposé de leur côté, l'an passé, de limiter le conventionnement automatique des libéraux.
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