LE TEMPS DE LA MEDECINE
«ECOUTEZ LE malade, il vous donne le diagnostic», professait William Osler au début du XXe siècle. Une référence directe à l'examen clinique : cette «rencontre singulière» entre le patient et le médecin, lors d'une consultation, comprenant un entretien (ou interrogatoire) et un examen physique. Les conseils d'Osler sont toujours d'actualité. Aujourd'hui encore, «un bon entretien avec le malade fait le diagnostic dans 60% des cas et, après un examen physique, dans 75% des cas. Même si les examens complémentaires (IRM, scanner…) sont parfois nécessaires pour confirmer le diagnostic», assure Bernard Hoerni, professeur de cancérologie à l'université Bordeaux-II et auteur de l'ouvrage « Examen clinique d'Hippocrate à nos jours »*.
Une formation pratique hétérogène.
Pourtant, l'expertise de la médecine clinique semble se transmettre avec difficulté. De fait, dans les facultés de médecine françaises, les professeurs sont, certes, conscients du caractère primordial de son apprentissage pour la carrière d'un médecin. Mais ils manquent parfois de temps lorsqu'il s'agit de formation pratique, indispensable à l'acquisition des compétences en sémiologie. «A l'hôpital, nous enseignons la sémiologie par petits groupes aux étudiants: 3élèves nous suivent pendant 3heures, plusieurs fois dans l'année, auprès des malades. Sachant qu'une promotion compte 200étudiants, nous sommes fortement mobilisés», témoigne le Pr Chassagne, PU-PH, médecine interne gériatrique, à l'université de Rouen. «Dans certaines facultés, les étudiants n'ont donc pas toujours l'opportunité de suivre tous les cours pratiques de sémiologie obligatoires. Résultat: en 6eannée de médecine, certains ne savent toujours pas examiner un patient correctement», poursuit-il.
Autre incohérence : «l'enseignement est assuré par des universitaires souvent recrutés sur des critères scientifiques. Et non sur leurs capacités pédagogiques. L'agrégation est aujourd'hui précédée d'une HDR (habilitation à diriger la recherche) , pas d'une “capacité à enseigner”», souligne le Pr Hoerni.
Par ailleurs, l'enseignement de sémiologie – dispensé en 2e et en 3e année de médecine et complétée par celui de la pathologie tout au long des études de médecine – s'effectue surtout à partir de livres. «Depuis deux ans, devant le constat de relative inadaptation du support pédagogique papier, nous avons mis à disposition des étudiants et des enseignants, sur le site Internet de la faculté de Rouen, des cours d'examen clinique en vidéo. Cet outil pédagogique électronique et visuel respecte le contrat pédagogique que la faculté exige des enseignants pour l'apprentissage élémentaire de la sémiologie tel que la commission des stages hospitaliers l'a défini», indique le Pr Chassagne. «En outre, Thomas Hanslik, professeur de médecine interne travaillant à la faculté virtuelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, est en train de créer un site Internet de sémiologie. Un outil national qui sera disponible pour toutes les facultés françaises», précise-t-il.
Des examens complémentaires trop souvent prescrits.
Belle initiative, mais, depuis la fin du XXe siècle, la médecine technique semble substituer, de plus en plus, les machines à l'examen clinique. «Le dialogue avec le patient a tendance à se raccourcir à cause des emplois du temps surchargés des médecins. Quant à l'examen physique, il est parfois trop rapidement suivi d'examens complémentaires», regrette le Pr Bernard Gay, professeur de médecine générale à l'université Bordeaux-II.
La pratique de la clinique aurait-elle donc tendance à diminuer ? C'est en tout cas ce que pense le Pr Chassagne : «La formation à la sémiologie à l'hôpital ne favorise pas toujours l'apprentissage de cette discipline. Car les examens complémentaires y sont à portée de main.» Le curseur s'est déplacé dans le mauvais sens. «L'évolution se fait vers la prescription souvent systématique d'examens complémentaires sophistiqués et onéreux. L'étape de la sémiologie est régulièrement court-circuitée par les jeunes médecins qui ont une attitude de prescription d'examens complémentaires en constante progression. Une mauvaise stratégie. Car plus les examens complémentaires deviennent sophistiqués et coûteux, plus il faut en faire le meilleur usage. Et, donc, adopter une approche sémiologique performante», estime-t-il.
Une opinion partagée par le Pr Gay : «La France souffre d'une sous-utilisation des scores de prédiction clinique qui permettent d'avoir une approche clinique validée. La spécificité de mon enseignement est d'expliquer aux étudiants et aux internes, que, en médecine générale, ils devront gérer des situations sans avoir facilement accès aux examens cliniques. La démarche clinique doit permettre de proposer une hypothèse clinique que les examens complémentaires pourront confirmer: c'est la démarche probabiliste. Un médecin généraliste doit, en effet, 9fois sur 10, développer une démarche diagnostique fondée sur le seul examen clinique. Le problème de la sémiologie est qu'elle s'apprend plutôt en milieu hospitalier, chez des patients à des stades avancés de la maladie. Or les internes qui deviendront médecins généralistes seront confrontés à des sémiologies plus précoces, donc plus fines.» Une bonne nouvelle cependant : «A la rentrée 2007, un stage obligatoire de médecine générale, de 2 à 4mois, pour tous les étudiants en 2ecycle, sera mis en place. Cette formation pratique leur permettra de découvrir la démarche clinique dans un lieu où l'on ne dispose pas d'emblée d'examens complémentaires», assure le Pr Gay.
Un diagnostic compliqué.
Le Pr Chassagne souligne toutefois les vertus du milieu hospitalier en matière de sémiologie : «Les patients de l'hôpital public sont souvent plus compliqués à diagnostiquer que ceux de la ville ou des cliniques. En gériatrie, par exemple, les patients ont 10, 20 ou 30ans de maladies derrière eux. Leurs signes cliniques sont nombreux. Et leur état de santé ne permet pas de multiplier les examens complémentaires. Interpréter un symptôme tel que l'essoufflement chez une personne âgée est bien plus difficile que chez un jeune. Davantage de maladies peuvent être liées aux symptômes, le diagnostic est donc plus ardu. A l'hôpital, les patients ont une comorbidité importante. Pour faire le tri de cette comorbidité, il faut être un rigoureux sémiologiste.»
Une médecine sans clinique ?
L'examen clinique garde donc aujourd'hui toute son importance. Et l'apparition d'une médecine sans clinique – dont le diagnostic appartiendrait au radiologue, au biologiste et à leurs informaticiens – n'est pas à l'ordre du jour. «Le bon médecin reste celui qui prescrit le moins d'examens complémentaires possible, en se fondant sur une réflexion performante qui aboutit ainsi au diagnostic. Ce n'est pas celui qui multiplie les radios, les scanners et autres IRM parce qu'il manque d'une orientation initiale précise», indique le Pr Chassagne.
De fait, le corps médical est unanime : la clinique reste indispensable pour préciser un examen complémentaire. Lequel n'a de valeur que s'il est bien indiqué et interprété.
Par ailleurs, l'examen clinique couvre des champs beaucoup plus vastes qu'il y a 20 ou 30 ans.
«L'examen clinique ne se limite pas à une prise de tension, à des réflexes, au toucher pelvien… C'est aussi l'évaluation de certaines fonctions du patient, telles que la mobilité ou la mémoire, l'appréciation de son état psychologique, de sa culture, de son observance du traitement. D'ailleurs, la clinique n'est plus réservée aux médecins: les infirmières aussi prennent la température, la tension, font des évaluations», souligne le Pr Hoerni. «Notre époque ne marque pas la fin de l'examen clinique, mais, au contraire, son développement. L'échange clinique permet de diagnostiquer et de traiter certaines maladies et troubles psychosociaux relevant désormais de la médecine: addictions, troubles de comportement… La prise en charge de la gériatrie (tests de mémoire, évaluation des fonctions physiologiques) témoigne aussi de la place qu'occupe la médecine clinique», poursuit-il.
Reste que, en termes d'enseignement, quelques améliorations se révèlent nécessaires : «Les enseignants doivent vérifier que les bases de la sémiologie sont acquises au terme des trois premières années d'étude.Ce qui devrait passer par une mobilisation pédagogique et, pourquoi pas, par un contrôle des connaissances sémiologiques plus approfondi. De fait, aujourd'hui, un étudiant peut être admis en 4eannée sans passer le moindre examen de sémiologie», conclut le Pr Chassagne.
* Editions Imothep/Maloine.
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