L'EPIDEMIE de sras (syndrome respiratoire aigu sévère) observée en 2002-2003, qui a tué près de 10 % des 8 000 personnes infectées, est probablement l'exemple le mieux étudié d'un virus « sautant » de l'animal à l'homme.
Le coronavirus du sras (sras-CoV) fut pris en flagrant délit d'adaptation à l'homme, avec acquisition de mutations dans plusieurs gènes, qui lui permirent d'être transmis d'homme à homme et de causer une maladie fatale.
Le sras-CoV isolé chez les patients durant l'épidémie 2002-2003, et dans des cas sporadiques, moins sévères, en 2003-2004, semble dériver d'un coronavirus presque identique circulant chez la civette, un animal sauvage vendu sur les marchés et consommé au sud de la Chine (lire également dans « le Quotidien » du 14 septembre notre article sur les chauves-souris de Hong Kong).
Le séquençage des centaines de génomes ARN des virus du sras trouvés chez les hommes et les animaux, pendant et après l'épidémie, a permis d'identifier des mutations qui distinguent les souches spécifiques d'espèces.
De nombreuses questions restent posées. Parmi ces mutations, lesquelles ont permis le passage de l'animal à l'homme et lesquelles ont été responsables de l'extrême virulence de l'infection ?
La glycoprotéine d'enveloppe « spike » du coronavirus semble jouer un rôle majeur dans la spécificité d'espèces de l'infection par coronavirus.
La protéine spike du sras-CoV ancre le virus aux cellules hôtes, en se fixant à un récepteur spécifique - récepteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2 (ou ACE2).
Le domaine de fixation au récepteur.
La séquence du domaine de fixation au récepteur (DFR) de la protéine spike a récemment été identifiée (220 acides aminés). Seulement 4 acides aminés dans le DFR diffèrent entre les souches humaines épidémiques (2002-2003) et celles trouvées chez la civette, mais ils provoquent une différence d'affinité de fixation au récepteur ACE2 humain qui est de 1 000 fois supérieure pour la protéine spike humaine.
C'est dans ce contexte qu'une importante étude de Li et coll., publiée dans la revue « Science », caractérise la structure cristalline du domaine DFR de spike lié au récepteur ACE2 humain.
Elle montre qu'il existe une large interface de fixation ; le DFR présente une surface doucement concave, qui héberge l'hélice N-terminale de l'ACE2.
Les détails atomiques à l'interface entre les deux protéines soulignent l'importance des substitutions qui facilitent le passage de l'infection d'une espèce à l'autre et la transmission d'homme à homme.
Seulement deux substitutions d'acides aminés.
Au total, 14 acides aminés de la protéine virale spike sont au contact de 18 acides aminés du récepteur ACE2. De ces 14 acides aminés, seulement deux acides aminés (positions 479 et 487) diffèrent entre les souches virales humaines et les souches virales de la civette.
Ces deux substitutions d'acides aminés (N479K et T487S) dans la protéine spike d'un virus sras de la civette réduisent fortement la fixation au récepteur ACE2 humain, en retirant un groupe méthyl (sur l'acide aminé en position 487 ; lequel, dans la protéine spike du virus humain, se place dans une poche du récepteur) en ajoutant une charge (en position 479).
La protéine spike du sras-CoV d'un cas sporadique et modéré de 2003-2004 (aucune transmission d'homme à homme n'est survenue après l'épidémie) ressemble davantage à la protéine spike du virus de la civette, en raison de l'absence du groupe méthyl en position 487 ; une autre substitution (L472P) réduit aussi la surface de fixation à l'ACE2, ce qui pourrait avoir contribué à l'atténuation.
Il est donc plausible qu'un facteur clé déterminant la sévérité - et peut-être la transmission d'homme à homme - est la présence d'un groupe méthyl en position 487 de la protéine spike.
Il convient de noter que la protéine ACE2 de la civette est quasiment identique à l'ACE2 humaine.
Enfin, selon les chercheurs, « la structure du DFR suggère des moyens de fabriquer des variants DFR tronqués, stabilisés par disulfide, qui pourraient être utilisés dans des vaccins ».
« Science », 16 septembre 2005, p. 1864.
Une adaptation alarmante
« La conclusion plutôt alarmante de cette étude est que l'adaptation d'un virus à un récepteur homologue d'une nouvelle espèce hôte pourrait ne demander que très peu de substitutions d'acides aminés au niveau de la large interface de fixation », observe dans un article associé le Dr Kathryn Holmes (université du Colorado). « Mais, alors, pourquoi les virus ne sautent-ils pas constamment d'une espèce à l'autre ? », poursuit-elle. « Probablement parce qu'une bonne adaptation à un nouvel hôte requiert non seulement des mutations pour optimiser la fixation au récepteur et l'entrée, mais aussi des mutations dans d'autres gènes viraux qui optimisent la réplication et la transmission virale chez le nouvel hôte. »
« Heureusement, si de nouveaux mutants du sras-CoV d'animaux venaient à déclencher une autre épidémie de sras chez l'homme, la maladie pourrait être rapidement reconnue par les nouveaux tests de diagnostic et enrayée par les mesures strictes d'isolement qui ont fait leurs preuves. De nouveaux vaccins candidats et antiviraux prometteurs sont en développement », note-t-elle.
En outre, ajoute-t-elle, « la structure de l'interface entre la protéine spike et le récepteur suggère de nouvelles stratégies pour développer un meilleur vaccin sras et des médicaments ciblant le récepteur, afin de bloquer l'entrée du virus dans les cellules hôtes. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature