PAR LE Pr RENE LAUGIER*
L'UTILITE des colorations vitales en endoscopie est démontrée depuis longtemps : la liste pratique comporte essentiellement le Lugol, l'indigo-carmin, l'acide acétique, le bleu de méthylène et le bleu de toluidine.
Les objectifs principaux de ces colorations vitales sont de renforcer le relief muqueux des zones normales comme des régions pathologiques, de faciliter la visualisation de la vascularisation, d'analyser les détails de la surface et d'augmenter notre capacité de distinction entre zones normales et pathologiques. L'indigo-carmin peut s'utiliser à tous les niveaux du tube digestif ; il aide, par exemple, à la délimitation précise d'un polype plan, à l'appréciation du « pit pattern » de la surface d'une muqueuse pathologique ou non, à la détection de lésions planes du côlon droit (Hnpcc) et surtout au renforcement du pouvoir de détection de parties suspectes de dysplasie d'un endobrachyœsophage (EBO). Dans toutes ces indications, les endoscopes à haute résolution, avec zooms optiques ou électroniques, sont tout à fait complémentaires des colorations vitales. Le lugol est plutôt cantonné à la détection et à la délimitation précise de zones de carcinome œsophagien, tandis que l'acide acétique augmente le relief muqueux.
Ces techniques sont assez peu onéreuses, mais demandent de la précision et du temps : application par un cathéter spray sur toute la zone à étudier (ce qui représente clairement un gros problème dans le dépistage des lésions planes du côlon droit), parfois suivi d'un rinçage précédant enfin l'analyse proprement dite de la muqueuse.
Les progrès des matériels endoscopiques mis à notre disposition sont assez considérables, à telle enseigne que nous disposons depuis quelques années de systèmes de transformation électronique, directement par le processeur, des images endoscopiques, et ce en temps réel.
Deux systèmes sont actuellement disponibles : le « Narrow Band Imaging » (NBI) et le « Fujinon Intelligent Color Enhancement » (Fice). Le premier est constitué par un filtre optique de la lumière utilisée pour l'éclairage de la muqueuse : du fait d'une augmentation de la composante bleue du spectre qui a une pénétration minime dans les couches profondes, le NBI permet d'augmenter la visualisation superficielle du relief muqueux ; il augmente également la détection de la vascularisation. Le système Fice décompose l'image vidéo en ses différentes longueurs d'onde, puis la recompose sur la base de trois longueurs d'onde préférentielles préréglées. La dominante bleue va faire ressortir le relief muqueux, le rouge va augmenter la visualisation vasculaire et le vert la profondeur des structures. Ces réglages peuvent être changés à l'infini au gré de l'opérateur, en fonction de l'organe examiné et des objectifs précis recherchés par l'examen. Dans tous les cas, l'avantage de la coloration électronique est son caractère instantané, sans matériel supplémentaire et sans perte de temps : dès qu'une zone suspecte demande un complément d'analyse, il suffit d'appuyer sur un bouton situé sur la poignée de l'endoscope pour mettre en œuvre le système. Les deux firmes qui proposent ce type de matériels (Olympus pour le NBI et Fujinon pour le Fice) mettent à notre disposition des gastroscopes et des coloscopes adaptés qui ne fonctionnent, bien sûr, qu'avec des processeurs équipés des logiciels adéquats. Il faut donc bien réaliser que lorsque l'on parle d'économies de petit matériel (cathéters, spray, colorants ...), cela est exact, mais ne prend pas en compte l'achat des endoscopes et des processeurs spécifiques, qui ont un coût évidemment non négligeable (mais qui peuvent, bien sûr être utilisés de manière conventionnelle comme tout autre appareil).
Ces colorations électroniques qui réalisent des chromo-endoscopies virtuelles sont encore en évaluation : actuellement, de nombreux travaux ont été publiés sur le NBI dans différentes indications diagnostiques, mais encore peu, concernant le Fice.
Les principales indications de ces techniques ont été jusqu'à présent la détection et la caractérisation avant toute biopsie des zones de dysplasie sévère ou de carcinome superficiel au sein d'un EBO. Un travail prospectif en série randomisée a comparé l'efficacité diagnostique de biopsies systématiques pratiquées avec des endoscopes à haute résolution après coloration vitale classique sans NBI, à celle de biopsies guidées par le NBI : les résultats du NBI sont comparables à ceux de la coloration vitale, mais ne sont pas supérieurs à ceux de la haute définition seule ! (Kara M., Peters F, Rosmolen W. et coll. High Resolution Endoscopy Plus Chromoendoscopy or Narrow-Band Imaging in Barrett's Esopahgus : a Prospective Randomized Crossover Study. « Endoscopy » 2005 ; 37 : 929-36). Une étude comparable vient de sortir sur le Fice : cette technique se révèle aussi efficace que l'acide acétique, à condition d'utiliser des endoscopes à haute définition (Pohl J., May A., Rabenstein T et coll. Comparison of Computed Virtual Chromoendoscopy and Conventional Chromoendoscopy with Acetic Acid for Detection of Neoplasia in Barrett's Esophagus. « Endoscopy » 2007 ; 39 : 594-598). Pour la première fois, les biopsies en quadrant ne se montrent pas plus efficaces pour la détection du carcinome in situ que l'examen méticuleux en haute définition.
En revanche, sans l'aide de la haute définition, dans une étude prospective randomisée, le NBI ne s'est pas montré supérieur à la coloscopie conventionnelle pour la détection de zones de dysplasie chez des patients porteurs de colite ulcéreuse (Dekker E. Van Den Brook F., Reitsma J. et coll. Narrow Band Imaging Compared with Conventional Colonoscopy for the Detection of Dysplasia in Patients with Longstanding Ulcerative Colitis. « Endoscopy » 2007 ; 39 : 216-221).
La chromo-endoscopie virtuelle n'en est qu'à ses débuts : elle nous offre un superbe moyen d'investigation instantané de la muqueuse, en imagerie directe. De nombreux travaux doivent cependant être mis en œuvre pour trouver ses indications les plus performantes et nous démontrer qu'elle pourra remplacer, à l'avenir, les colorations vitales classiques.
* Service d'hépato-gastro-entérologie et d'oncologie digestive, hôpital de la Timone, CHU de Marseille.
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