Polyarthrite rhumatoïde
IL Y A ENCORE un demi-siècle, la polyarthrite rhumatoïde était pour le chirurgien une source d'embarras ; il pouvait pressentir que l'arsenal chirurgical disposait de certaines solutions, mais tout un labyrinthe d'interrogations ne trouvait de réponses que de façon fragmentaire. On comprenait bien que les syndromes pathologiques variaient du point de vue de leur profil évolutif et des structures anatomiques impliquées. Néanmoins, il paraissait bien illusoire de vouloir développer une vue d'ensemble de cette pathologie et de l'efficacité réelle des gestes chirurgicaux imaginés à l'encontre des multiples facettes de cette affection. Cependant, une observation patiente du cheminement thérapeutique proposé au fur et à mesure des progrès de la chirurgie scapulaire a permis de tirer un certain nombre d'enseignements :
- l'atteinte de l'épaule survient, la plupart du temps, à un stade avancé de la polyarthrite rhumatoïde ;
- un bilan général du patient est indispensable avant d'évoquer une éventuelle prise en charge chirurgicale ;
- toutes les autres atteintes articulaires doivent être recensées avant de légitimer une chirurgie ciblée de l'épaule ;
- les structures anatomiques impliquées dans l'atteinte scapulaire doivent faire l'objet chacune d'une évaluation de leur participation dans la dysfonction articulaire à traiter ;
- bien qu'il existe indéniablement des situations pathologiques stables, la tendance évolutive naturelle de cette scapulopathie est plutôt de se détériorer.
La polyarthrite rhumatoïde a fait, et fait encore, l'objet d'un intense effort de recherche fondamentale et clinique. Son déterminisme pathologique reste toujours compris, comme une synovite inflammatoire chronique déclenchée par un déraillement de la réponse immunitaire et aboutissant à des destructions structurelles articulaires. Une meilleure connaissance de l'intimité de ce désordre immunitaire et des conséquences qui en découlent a conduit à l'introduction de nouveaux traitements plus efficaces sur le cours de l'affection ; cette approche thérapeutique améliorée n'a toutefois pas permis de résoudre l'interrogation du bien fondé ou non de l'interruption éventuelle des traitements de fond en période péri-opératoire.
De l'anecdote chirurgicale à la chirurgie systématisée.
Avant les années 1980, la revue de l'expérience chirurgicale se contentait de rapporter l'utilisation de méthodes appliquées sporadiquement dans des séries de cas manifestement limitées.
Durant les vingt-cinq dernières années, sous l'impulsion du New-Yorkais Charles Neer et de l'école de la Mayo Clinic, une évaluation plus analytique des techniques chirurgicales et des résultats obtenus a permis d'individualiser les paramètres spécifiques (état de la coiffe, du deltoïde, de type chirurgie, etc.) impliqués dans ces résultats.
Si toute décision chirurgicale revient à mettre en balance les risques encourus par rapport aux bénéfices attendus, il importait de mieux cerner ces derniers.
L'objectif de la chirurgie consiste-t-il avant tout à supprimer la douleur, à restaurer la fonction, à interrompre le cycle péjoratif d'évolution de la maladie ?
De telles interrogations fondamentales ont fini soit par trouver des éléments partiels de réponse, soit par susciter, l'expérience aidant, de nouvelles interrogations :
- l'arthroplastie totale (glénoïdienne + humérale) est-elle, dans la polyarthrite rhumatismale, plus valable que l'hémiarthroplastie seule ?
- quel est le rôle joué par l'état de la coiffe dans la variabilité des résultats observés ?
- le degré de subluxation humérale verticale, en direction acromiale, impose-t-il de corriger les indications chirurgicales ?
- existe-t-il un compromis inévitable et difficilement récupérable des capacités d'élévation active ?
- la fixation glénoïdienne est-elle inexorablement suboptimale sur ce terrain ?
- le résultat initial de la chirurgie résiste-t-il durablement à l'épreuve du temps ?
- quelle est la place d'autres concepts arthroplastiques dans la polyarthrite rhumatoïde : prothèse à pièce glénoïde sphérique (dite prothèse inversée), résection arthroplastique...
- d'autres techniques chirurgicales que l'arthroplastie (résection acromio-claviculaire, synovectomie. etc.) gardent-elles une place dans le traitement chirurgical de l'épaule rhumatoïde ?
Grâce à un recrutement épidémiologique privilégié, le département de chirurgie orthopédique de la Mayo Clinic est parvenu à faire avancer considérablement le débat.
Une chirurgie mieux codifiée.
Tant dans ses indications que dans sa réalisation technique, la chirurgie scapulaire de la polyarthrite rhumatoïde a radicalement changé de physionomie.
De façon ultraschématique, on peut individualiser cinq grands chapitres de chirurgie de cette articulation dans cette affection :
- les sepsis ne sont pas exceptionnels, surviennent plus particulièrement sur des terrains multipathologiques (diabète, immunodépression...) et restent de pronostic réservé ;
- les fractures, surtout de l'extrémité supérieure de l'humérus, posent de délicats problèmes d'ostéosynthèse, en raison de la qualité précaire de l'os, et sont également de pronostic réservé ;
- les atteintes de la coiffe pour lesquelles, sur ce terrain, la chirurgie traditionnelle ou arthroscopique conduit à des résultats inégaux ;
- les synovites gléno-humérales qui posent le problème du bien fondé préventif de la synovectomie arthroscopique pour contrecarrer la progression de l'atteinte articulaire ;
- les solutions arthroplastiques qui, à condition d'être techniquement irréprochables, représentent un recours avantageux.
Le triomphe de la méticulosité technique arthroplastique.
La réalisation d'une prothèse d'épaule chez un sujet porteur d'une polyarthrite rhumatoïde exige des ajustements techniques spécifiques dictés par la physionomie lésionnelle observée durant l'intervention. Ce respect de détails techniques conditionne la qualité des résultats.
Par rapport à la technique arthroplastique standard, le cadre de la polyarthrite rhumatoïde peut imposer des spécificités à toutes les étapes de l'intervention : dès la voie d'abord, il est parfois nécessaire de désinsérer prudemment le faisceau antérieur du deltoïde, que l'on s'astreindra à rattacher soigneusement lors de la fermeture ; l'état de la coiffe dicte par la suite la façon d'exposer l'articulation, car il conviendra, suivant la distribution de ses altérations (ou de ses lésions ), d'en préserver au mieux la fonction stabilisatrice, soit en réalisant sur cette coiffe des gestes de reconstruction, soit en contournant les zones de fragilité ou, au contraire, en les utilisant comme trajectoire d'exposition ; l'état du capital osseux, huméral et glénoïdien, dictera les choix d'une pièce humérale modulaire fixée ou non au ciment et l'opportunité ou non d'ancrage d'un élément glénoïdien d'arthroplastie totale ; enfin, le suivi strict d'un protocole de rééducation postopératoire personnalisé est le complément indispensable et indissociable de cette intervention arthroplastique sur ce terrain particulier.
La chirurgie scapulaire moderne, grâce à son arsenal diversifié et à ses techniques plus précises, fait à présent partie intégrante de la prise en charge des atteintes de cette articulation dans la polyarthrite rhumatoïde. Il s'agit d'une chirurgie exigeante, mais à présent beaucoup mieux codifiée, ce qui permet d'en tirer le meilleur bénéfice pour l'opéré.
D'après la conférence d'enseignement du Pr Robert H. Cofield, département de chirurgie orthopédique, Mayo Clinic, Rochester, Minnesota (Etats-Unis).
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