SPECIAL OPHTALMOLKOGISTES

La chirurgie réfractive : un constat, une opinion

Publié le 15/10/2003
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Par le Dr Dan Alexandre Lebuisson (*)

Il y a environ dix-huit ans, jamais les promoteurs de ces procédés n'auraient envisagé un tel engouement, partagé par les chirurgiens et les patients : plusieurs centaines de personnes sont traitées chaque semaine en France, où cette chirurgie est, en 2003, une chirurgie cornéenne. Au moins 95 % des opérations ainsi étiquetées recourent au laser Excimer et la moitié d'entre elles s'effectuent selon un protocole de kératoplastie lamellaire automatisé (LASIK). Les ablations superficielles, qu'elles comportent ou non une lame épithéliale, vivent encore de l'intérêt, sur des cornées minces, de pays où elles bénéficient de remboursement ou de cliniques où le chirurgien ne peut pas aisément employer un microkératome de qualité, ou ne le souhaite pas. Les disparités sont nettes selon les régions, car le plateau technologique dicte les modalités d'indications. Rien n'est venu détrôner, en onze ans, le laser Excimer, dont l'efficacité et la sûreté sont affirmées. Dans les congrès, la plupart des communications sont plus volontiers consacrées à des avancées par touches qu'à de véritables virages technologiques. Nous entrons, comme pour l'aviation, dans l'amélioration du confort, des performances et de la sécurité et donc de la qualité globale. Le risque d'ectasie cornéenne est un danger « à la mode », mais beaucoup plus souvent lié à un défaut d'investigations préalables qu'à une conduite erronée. Sachant que le dépistage courant des kératocônes frustes n'est réellement possible et complet que depuis la diffusion du topographe en élévation Orbscan (2000), on ne peut que rester sceptique sur les conditions de réalisation de la majorité des cas antérieurs publiés. La crainte de l'ectasie est un souci constant, mais très certainement non rédhibitoire et tout à fait parcellaire. La baisse notable de la fréquence des complications et la plus grande importance donnée aux effets secondaires frappent les chirurgiens. Une acuité visuelle de 10/10e n'est plus le seul objectif ; chirurgiens et patients veulent 10/10e, l'absence d'effets secondaires et la disparition des complications. Ces objectifs peuvent être atteints. Bien entendu, pas à 100 %, mais nous ne sommes plus très loin de l'asymptote.

Les examens complémentaires sont la clef des indications

Les examens complémentaires préopératoires sont la clef des indications bien posées et des soins bien conduits.
La place des abérromètres et des systèmes guidant l'ablation laser, par des calculs tenant compte de la particularité optique de l'œil traité, ira croissant. Depuis que ces appareils sont à la disposition des chirurgiens, on a pu constater qu'ils n'ont pas réduit les effets indésirables, ni augmenté la vision. Cependant, les mises à jour logicielles annuelles, les asservissements de faisceau hyperprécis, les rafales de tirs de plus en plus rapides, entre autres, rendent compte de l'amélioration constante des résultats. Cette qualité est méconnue, car la caractéristique de la chirurgie réfractive est d'être surtout le fait d'opérateurs publiant peu ou pas. Les articles sont rarissimes en France, sortent peu de services hospitaliers et sont alors souvent le fruit d'un DEA sur une recherche ponctuelle. Ces excellents travaux ne traduisent pas une expérience libérale dans un domaine où 80 % des actes de chirurgie sont effectués hors des CHU et à 100 % hors Sécurité sociale.

Une technique d'avenir encore insuffisamment reconnue

Ces avancées notables sont accompagnées d'une fabrication nouvelle de microkératomes à l'usinage remarquable. Seuls les systèmes jetables souffrent encore car le moteur où l'anneau ne le sont pas ; ce qui fait d'eux des engins hybrides. La sécurité sanitaire attend impatiemment ces ustensiles, car la découpe cornéenne par laser fento-secondes n'est pas au rendez-vous, pas plus que les découpes par jet d'eau ou autres procédés. Aussi le chirurgien proposera-t-il une méthode avérée en s'inscrivant dans une pertinente prédictibilité. La question de l'information renforcée trouve une réponse simple : dire ce que l'on fait, depuis combien de temps, pour quels avantages et au prix de quels inconvénients.
Si on estime à au moins 140 000 le nombre de cas opérés ces deux dernières années par un procédé laser Excimer, on peut affirmer que la technique possède encore un grand avenir. La seule ombre procède des compagnies commerciales et des fabricants, qui souhaitent partager les bénéfices financiers avec le corps médical plutôt que de se limiter à la vente et la maintenance. Ignorer le marketing et l'implication financière de choix technologiques n'est plus possible dans nos chirurgies sophistiquées. Le risque est de se voir proposer, puis imposer, des procédures à la carte, coûteuses à terme car par essence inflationnistes au départ ou à l'arrivée selon les débits. Ces mêmes raisons font que ces mêmes fabricants préfèrent favoriser la recherche en prothèse oculaire. Ainsi, les chirurgies additives sont le royaume des lois Huriet, tant il est vrai que tout le secteur sanitaire préfère se trouver en position de « vraie » chirurgie, avec patient hospitalisé, une vente répétitive d'un produit sans suite ni retour, une anesthésie avec un médecin, des dispositifs annexes, etc. La chirurgie réfractive actuelle souffre dans le monde hospitalier de son apparente « légèreté », alors que ses actions et ses conséquences dépassent en importance celles de biens des actes opératoires conventionnels. Il est dommage qu'une telle chirurgie de réhabilitation ne puisse pas reposer sur une valeur forte, partagée par tous les médecins, qui affirmerait son rôle communautaire.

La prothèse est une alternative en cas de contre-indication au laser

Le secteur des prothèses repose sur le développement des lentilles intraoculaires phaques, ou même pseudophaques, chez le presbyte. Ces implants sont connus depuis presque vingt ans et bénéficient périodiquement d'un lifting avec une particularité : le produit le plus ancien demeure, et de loin, le plus sûr. Les bonnes indications sont les amétropes hors des normes de l'intervention laser, ainsi que les contre-indications du laser liées au globe oculaire : cornée mince ou altérée, etc. Ces implants constituent une arme supplémentaire et ils sont amenés à un essor certain tant il est vrai qu'ils sont présentés comme réversibles et source d'une très bonne qualité visuelle subjective et objective. Ce dernier point est avéré et des indications formelles peuvent être dégagées à partir des investigations préopératoires et des désirs des patients. Mais cette chirurgie ne peut être comparée à l'apparente aisance du processus laser. Il est rare que les candidats placés devant l'alternative choisissent l'opération intraoculaire plutôt que le laser et l'information n'y change pas grand chose.

La presbytie aussi, mais au prix d'une légère myopie

Ces deux procédés partagent l'intention de corriger aussi la presbytie. Cette dernière représente un enjeu majeur. Tout le monde sera presbyte et chacun a une chance de vivre presque autant de temps presbyte que non presbyte. Pour le moment, la correction de la presbytie est possible chez l'hypermétrope, moyennant diverses variations de modalités de traitement laser, mais toujours au prix d'une faible myopie, bilatérale ou non, ou d'une bascule visuelle. Le sujet emmetrope est plus mal loti et la solution claire n'existe pas. Quant au myope, seule la sous-correction répond, et insuffisamment, à la question. C'est dire que le front de la presbytie est celui des futurs traitements. Nombre de tentatives disparates de traitement électif de la presbytie ont disparu : relaxation sclérale, kératotomie transverse, kératoplastie rétractive par laser ou sonde x ou y, lenticule intracornéen... L'ablation du cristallin clair pour placer une lentille intraoculaire multifocale est une option très invasive, donnant de bons résultats entre les mains des partisans, mais de moins bons entre celles des forces régulières. Le bon sens recommande la prudence avant de préconiser d'enlever un organe sain et encore clair pour une correction de presbytie. On connaît cette chirurgie : c'est celle de la cataracte et ce n'est pas une opération sans lendemain dans 0,75 % des cas. Ce chiffre, bas en cas de cataracte installée, devient facilement inacceptable autrement.
Les patients bien examinés, par des équipes sérieuses, et correctement opérés ne courent pas de risques connus inacceptables, loin de là. La discussion sur les risques est l'objet de nombreuses mesures réglementaires, mais, en définitive, la parole est au preneur du risque : le patient. Le mérite des différentes reformes est d'avoir donné au malade la possibilité d'être informé ; leur dangereux inconvénient est d'avoir donné au médecin le sentiment que cela suffisait. Le perfectionnement permanent est si nécessaire qu'un opérateur, absent un an du bloc, ne saurait refaire de la chirurgie réfractive sans une nouvelle imprégnation de cyndinétique.

La situation actuelle est encore démographiquement embryonnaire

La chirurgie réfractive est aussi une chirurgie pilote, car elle seule modifie une fonction objective, mais uniquement pour convenance personnelle. C'est un cas de figure encore très rare, qui sera certainement de plus en plus fréquent.
Les facteurs limitant le développement de la chirurgie réfractive sont multiples : le premier réside dans l'absence de prise en charge par l'assurance-maladie, qui écarte de l'indication la population la moins favorisée. Il est même surprenant qu'autant de Français se soient fait opérer dans un tel contexte ; il persiste donc un panier non social bien plus important que l'on ne le pensait. Les autres facteurs sont la relative faiblesse de la diffusion des lentilles de contact (moitié moins que dans d'autres pays avancés), l'hostilité de principe de nombreux ophtalmologistes purement médicaux, la faible implication hospitalière, les campagnes de puissants fabricants d'optique, les efforts publicitaires des opticiens, les craintes des candidats et surtout l'ignorance du champ ouvert. Il reste cependant certain que le futur s'inscrit forcément vers la lente régression des lunettes en tant que correction optique permanente et la plus fréquente, en limitant encore cette assertion à l'adulte. La vraie question est le délai. Il faut demander aux opérés s'ils souhaitent remettre les lunettes ; la réponse est stupéfiante, car, dans les butoirs de bonnes indications, les réponses négatives sont l'extrême majorité, même de la part de personnes connaissant un problème. C'est dire que la problématique ne se situe pas seulement en termes de science, mais aussi en termes de qualité de vie, tant le désir d'autonomie individuelle et de plénitude visuelle est irréfragable.

* Hôpital Foch, Suresnes, et Hôpital américain, Neuilly

Le Quotidien du Mdecin

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7405