PARAPHRASANT un pape célèbre, on peut comprendre cette phrase de deux manières : «N'ayez pas peur, nous avons mis fin à une situation dépassée», ou bien «N'ayez pas peur, ce qui disparaît est remplacé par quelque chose de mieux». Les deux sont vrais.
Ce constat est le fruit de deux évolutions parallèles. L'une technologique, qui n'a cessé de s'accélérer de la fin des années 1950 jusqu'à l'époque actuelle. L'autre sociologique, induite par une demande de qualité des soins évidente et légitime.
L'évolution technologique a touché tous les domaines de la chirurgie avec des applications différentes d'une spécialité à l'autre : vidéochirurgie, robotique, chirurgie endovasculaire, microchirurgie, chirurgie assistée par ordinateur. Ainsi sont apparus des pratiques nouvelles et des outils nouveaux élargissant le champ des techniques chirurgicales et améliorant leurs performances. Ces technologies reposent sur des outils utilisés par toutes les spécialités et qui sont multiples : ultracision, fulguration, laser, guidage fluoroscopique ou électromagnétique. La multiplication de ces outils et l'accroissement du nombre des techniques chirurgicales, dans le cadre des chirurgies reconstructrices en particulier, ont conduit la plupart d'entre nous à des exercices spécialisés exclusifs de « leur chirurgie ». Dans ce contexte, peut-on accepter que dans une ville, grande ou moyenne, les patients, qu'ils aillent dans un établissement privé ou public, se voient opérés d'une plaie de la main par un chirurgien de la main, des varices par un chirurgien vasculaire, d'une cholécystite par un chirurgien digestif, d'une fracture du col du fémur par un chirurgien orthopédiste, alors que dans tel ou tel établissement de proximité, où n'exercent que deux, voire un seul chirurgien, ce soit le même homme qui soit amené à faire tous les actes précédemment mentionnés ?
Sortir de sa tour d'ivoire.
La chirurgie du XXIe siècle est une chirurgie d'appareil. Celui qui l'exerce doit posséder un solide bagage de données fondamentales propres à sa discipline : le chirurgien vasculaire ne peut ignorer l'athérosclérose et ses facteurs de risque, le chirurgien orthopédiste, des notions sophistiquées de mécanique et de résistance des matériaux. On pourrait décliner les exemples à l'infini. Enfin, les chirurgiens actuels ont dû sortir de leur tour d'ivoire, que ce soit pour donner l'information avec patience dans un langage compréhensible, ou pour rendre des comptes aux organismes gestionnaires quant à l'évaluation de leur pratique ou la qualité des soins qu'ils prodiguent. Cela est normal et, qu'il plaise ou non, il en est ainsi. Dans ce contexte, il est aisé de comprendre que l'ensemble des connaissances pratiques et théoriques nécessaires, si on envisage la totalité des disciplines chirurgicales, est hors de portée d'un seul individu.
Même si la France n'est pas dans le peloton de queue des nations occidentales face à cette évolution, nous sommes encore aujourd'hui dans une situation ambiguë du fait du retard structurel de nos diplômes universitaires et du retard organisationnel de la chirurgie dans de nombreux établissements hospitaliers publics. La délivrance d'un diplôme de chirurgie générale n'a aujourd'hui plus de sens ; le tronc commun obligatoire pour les internes en chirurgie est décrié par tous ; la délivrance de diplômes parallèles par les collèges que pratiquent la plupart des disciplines chirurgicales est une source d'ambiguïté et de confusion quand on constate que ce sont les mêmes professeurs d'université qui les délivrent, ce qui veut dire qu'ils considèrent comme futile le diplôme de Desc dont ils ont officiellement la responsabilité.
« Dur » et « mou », concept dépassé.
Non, la chirurgie générale n'existe plus, de même que ne doit plus perdurer la division entre les chirurgies du « dur » et du « mou », concept également dépassé. Le maillage du pays en établissements de soins, la qualité de nos moyens de transport sont une réponse à ceux qui posent la question par exemple de la prise en charge d'un anévrysme aortique rompu dans tel hôpital de proximité. La réponse est connue et scientifiquement prouvée : les chances de survie sont indiscutablement plus grandes en cas de transfert vers un centre spécialisé qu'en cas de chirurgie sur place par un praticien et une équipe qui ne pratiquent ce geste qu'une fois tous les deux ou trois ans. Qui est choqué de constater que la dissection aortique ou l'hématome intracérébral ne sont pas opérés dans l'hôpital de proximité ? Pourquoi serions-nous choqués d'orienter l'ischémie aiguë ou la cholécystite vers un centre possédant des chirurgiens spécialisés si on peut ainsi éviter une amputation ou une péritonite biliaire ?
Enfin, et cet argument n'est pas le moindre, comment attirer les jeunes vers le métier de chirurgien si, après leur avoir appris dans les CHU les techniques les plus sophistiquées, on leur demande d'exercer selon une pratique qu'ils considèrent comme obsolète ?
Il faut prendre acte de ce constat : la chirurgie générale n'existe plus. Elle est remplacée par dix disciplines chirurgicales clairement identifiées. La restructuration de la chirurgie dans les hôpitaux publics doit se faire à partir de ce constat. La réforme de la formation initiale des chirurgiens élaborée par le Conseil national de la chirurgie, attendue par les enseignants de chirurgie et les doyens, les collèges, les internes et les professionnels, doit être mise en oeuvre d'urgence par les pouvoirs publics.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature