IL A UN PEU le trac mais son visage dégage une surprenante sérénité. A quelques minutes de l'instant fatidique, Fabrice Marbat plaisante avec sa femme, son petit garçon et ses parents. Dans un petit estaminet qui jouxte la faculté, il s'autorise une bière. Ce jeune interne de 28 ans vit ses derniers instants d'étudiant. Dans quelques heures, il sera médecin. Dans quelques jours, il s'installera dans un cabinet de médecine générale à Valence. Dans quelques années, il se souviendra encore de ce jour à part.
Fabrice va soutenir sa thèse.
Un mémoire de 135 pages consacré aux localisations osseuses de la leucémie lymphoïde chronique. «Seulement 12cas dans le monde ont été colligés comme tels et j'ai été confronté à l'un d'eux alors que j'étais interne à Nîmes en 2004», explique le jeune homme, qui a depuis gardé ce sujet en tête. Pendant trois ans, il a rassemblé beaucoup de documents. Avec son directeur de thèse, le Dr Maurice Viala, il a ensuite échafaudé sa réflexion. En six mois, il a rédigé son mémoire.
Aujourd'hui, c'est devant un jury de quatre personnes – le directeur de thèse, au moins deux professeurs et un maître de conférences – que Fabrice va présenter son travail. Il a revêtu son plus beau costume. «Cet instant est solennel et j'appréhende les questions impromptues que pourrait soulever mon travail, confie-t-il. Mais je connais mon sujet. Mon père, généraliste, m'a aidé pour l'orthographe et ma femme pour la mise en page du mémoire.»
Un lieu chargé d'histoire. Un dernier coup d'oeil sur la montre. Il est temps de se diriger vers la faculté la plus vieille de France. La soutenance aura lieu dans la salle des actes. Un ancien évêché récupéré par la faculté de Montpellier après la révolution française. Un lieu chargé d'histoire. Fabrice patiente quelques minutes dans le hall dominé par les bustes d'Ambroise Paré et de Paul-Joseph Barthez, un des fondateurs de la faculté. Il est invité à revêtir une toge rouge à liserés noirs et à attendre que les jurés, également vêtus de l'habit traditionnel, aient pris place dans la salle. Un lieu d'ors et de lumière sur les murs desquels figurent les portraits des professeurs qui ont marqué la vie de la faculté. Fabrice entre enfin. Une vingtaine de personnes, parents et amis, l'attendent debout. A la demande du président du jury, Fabrice s'assoit et lit le résumé de son mémoire. Puis son directeur de thèse, le Dr Maurice Viala, remercie chaleureusement l'étudiant d'avoir accepté ce sujet, de s'être intéressé à cette pathologie et d'avoir toujours gardé à l'esprit l'importance du confort des personnes âgées atteintes par la maladie. «Je te souhaite beaucoup de bonheur dans ta vie professionnelle et familiale», conclut-il. Le Pr Thierry Lavabre-Bertrand se charge, comme il le dit, de «la partie la plus ingrate mais nécessaire» de la critique. Il souligne «quelques petits défauts, des éparpillements, des redites, quelques lapsus sur des points de détail». Rien de bien méchant. Le travail est unanimement apprécié. Béotien dans le domaine de l'hématologie, le Pr Pierre Labauge se contente de souligner la bonne présentation du mémoire, son plan cohérent, sa bonne rédaction. «Ce travail est le reflet de ta personnalité. Je ne doute pas que ta future activité médicale te donnera satisfaction», assure-t-il à son ancien stagiaire. Le président du jury, le Pr Benoît de Wazières, ne prolonge pas indéfiniment les échanges. Il invite Fabrice à se lever et à prononcer le serment d'Hippocrate. Le public applaudit.
Le jury se retire. La soutenance a duré moins d'une heure. Une fois revenu dans sa tenue civile, le Pr De Wazières confie son affection pour la thèse de médecine, qu'une réforme pourrait bientôt supprimer*. «Il faut préserver la thèse et son aspect cérémonial, confie-t-il. C'est un point de passage important vis-à-vis de la famille qui a payé les dix à douze années d'études de son enfant. La thèse a aussi un intérêt scientifique. C'est la seule fois où les étudiants en médecine vont rédiger un vrai travail scientifique, de recherche et préparer une bibliographie.»
Les membres du jury, les amis et la famille de Fabrice se retrouvent autour d'une coupe de champagne pour fêter l'événement. Christian, son père, a les yeux qui pétillent. Il vient de vivre un moment spécial. Il y a trente ans, il passait lui aussi sa thèse à Montpellier. Aujourd'hui, il a écouté son fils prêter le serment d'Hippocrate. «Depuis le début de ses études, il voulait être médecin généraliste, glisse-t-il ému. Je suis si content pour lui.»
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